Janvier 2023
TF 5D_78/2022, 5D_79/2022 du 31 octobre 2022
Revendication; nullité d’une décision rendue contre des parties indéterminées ; répartition des frais judiciaires; art. 641 al. 2 CC; 59, 66, 106 ss CPC
Nullité d’une décision – La nullité absolue d’une décision peut être invoquée en tout temps devant toute autorité et doit être constatée d’office. Elle ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou du moins facilement décelables ; sa constatation ne doit pas mettre sérieusement en danger la sécurité du droit. Sauf dans les cas expressément prévus par la loi, il ne faut admettre la nullité qu’à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d’annulabilité n’offre manifestement pas la protection nécessaire. Une décision d’emblée inexécutable est frappée de nullité.
Il existe une grande diversité de situations dans lesquelles une décision nulle peut influer sur la validité de décisions postérieures relevant d’autres autorités. On ne peut donc pas énumérer toutes les autorités qui, amenées à rendre une décision ultérieure (par exemple une décision d’exécution), pourront constater à titre préjudiciel que la décision initiale est affectée d’un tel vice. La théorie de la nullité n’implique toutefois pas que n’importe quelle autorité est compétente pour constater la nullité, au mépris des règles gouvernant sa saisine (consid. 3.1).
Décision rendue contre des parties indéterminées dans une action en revendication – Dans le cadre d’une action en revendication au sens de l’art. 641 al. 2 CC, le Tribunal fédéral a considéré que l’opposabilité de l’exécution forcée à des occupants sans droit qui ne seraient pas parties à la procédure civile ne paraît pas d’emblée exclue. Il n’en demeure pas moins que l’action en revendication en tant que telle ne peut être intentée que contre celui qui possède la chose au moment de l’ouverture de l’action, soit une personne déterminée. En droit du bail également, le Tribunal fédéral a considéré que la notion de dépendance de tiers à expulser doit se déterminer en fonction d’une partie défenderesse déterminée. Admettre le contraire conduirait à passer outre l’examen d’une condition tant de recevabilité que matérielle de l’action, le juge ne pouvant contrôler ni la capacité d’être partie ni la légitimation des personnes en cause. Une décision qui serait rendue à l’encontre d’une partie défenderesse indéterminée est inexécutable et le but du procès civil n’est pas réalisable. Une telle décision est donc frappée de nullité (consid. 3.2).
En l’espèce, une décision rendue contre un « collectif » qui n’est pas une personne morale et dont l’identité des personnes physiques reste inconnue est nulle ; elle viole l’essence même du procès civil.
Répartition des frais (art. 106 ss CPC) – L’art. 107 al. 1 CPC ne règle la répartition des frais, en dérogeant au principe prévu par l’art. 106 CPC, qu’entre les parties au procès. Cette disposition dérogatoire ne peut pas être appliquée pour mettre les frais à la charge d’un tiers. Un avocat ne peut se voir imposer des frais en application de cette disposition (consid. 3.3.2).
Frais inutiles (art. 108 CPC) – Les frais causés inutilement sont mis à la charge de la personne – y compris les tiers qui ne sont pas parties – qui les a engendrés, indépendamment du sort de la cause. Sont inutiles les frais qui ne servent aucunement à la résolution du litige ou occasionnés de manière contraire au principe d’économie de la procédure. Il s’agit en premier lieu de ceux qui, par le comportement d’une partie ou d’un tiers pendant le procès, viennent s’ajouter aux frais usuels ou qui seraient de toute façon encourus. Ainsi, les frais engendrés dans une procédure qui a été menée par un falsus procurator pour une partie qui ne l’a pas mandaté sont à la charge du représentant sans pouvoirs. Seuls les frais que celui-ci a inutilement causés peuvent être mis à sa charge, au sens de l’art. 108 CPC.
En l’espèce, même si le premier juge avait, au moment de rendre sa décision, retenu l’irrecevabilité de la requête, aucuns frais n’auraient pu être mis à la charge des avocats. En effet, la requête engagée sans connaître l’identité de la partie intimée et l’instruction menée par le premier juge contre des personnes inconnues – la citation à comparaître ne comportait aucun nom et ce magistrat n’a nullement signifié aux recourants que, leur procuration ne mentionnant pas les noms des personnes représentées, il n’accepterait pas qu’ils procèdent et ne prendrait pas en considération leurs déterminations – relèguent à l’arrière-plan le comportement des recourants, qui se sont du reste limités à comparaître à l’audience déjà prévue et à déposer des déterminations sur la requête. On ne voit dès lors pas quels frais causés inutilement doivent être imputés aux recourants, étant précisé que la causalité ne peut se juger que par rapport à leur propre comportement de représenter une partie qui ne veut pas dévoiler son identité, et non par rapport au comportement illicite de la partie qui a donné lieu à la procédure d’évacuation, l’art. 108 CPC n’ayant nullement vocation à protéger le justiciable des difficultés de recouvrement contre sa partie adverse.
Analyse de l'arrêt TF 5D_78/2022, 5D_79/2022
François Bohnet
Avocat spécialiste FSA droit du bail, LL.M., Dr en droit, Professeur à l'Université de Neuchâtel
Février 2023
TF 4A_152/2021 du 20 décembre 2022
Contrat mixte de vente et d’entreprise; cession des droits de garantie pour les défauts; substitution de partie; art. 18, 172, 368 ss et 467 al. 2 CO; 83 CPC
Substitution de partie (art. 83 CPC) – En cas d’aliénation de l’objet du litige en cours d’instance, l’art. 83 al. 1 CPC permet à celui qui a acquis la légitimation (le substituant) et au plaideur qui l’a perdue (le substitué) d’obtenir, par leur volonté conjointe, que le premier remplace le second dans le procès, le consentement de la partie adverse étant sans pertinence dans ce contexte. L’objet du litige s’entend au sens large ; il peut s’agir d’un rapport de droit comme d’une chose. L’aliénation doit avoir pour conséquence un changement de légitimation pour l’un ou l’autre des plaideurs ; elle recouvre tout changement de situation juridique effectué à titre particulier et portant sur la propriété d’une chose ou sur la titularité de l’un ou l’autre côté du rapport de droit litigieux, comme par exemple une cession de créance.
Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral relève que l’objet du litige n’est pas la propriété de l’unité d’étage qui a été vendue en cours de procédure, mais la titularité des droits de garantie découlant du contrat de vente entre l’entrepreneur et les acheteurs initiaux. La substitution de partie supposait donc une cession de créance, laquelle n’a pas été alléguée et établie par les parties en cours d’instance (consid. 3.2).
Garantie pour les défauts (art. 368 ss CO) – Sauf convention contraire, en présence de contrats mixtes, combinant des éléments du contrat de vente et du contrat d’entreprise, la garantie des défauts est soumise aux règles du contrat d’entreprise (art. 368 ss CO), en tout cas pour les défauts affectant les parties communes. Depuis l’ATF 145 III 8 (changement de jurisprudence), le droit à la réfection d’une partie commune appartient indivisiblement et pleinement à chaque propriétaire d’étage. Vu le caractère indivisible du droit à la réfection des parties communes, il faut admettre que les créances pécuniaires déduites de l’exercice du droit à la réfection sont également indivisibles. Les copropriétaires d’étages peuvent agir en consorts volontaires (consid. 4.1).
Lorsque les copropriétaires agissent en paiement d’un montant correspondant au coût d’élimination des défauts qui touchaient toutes les parties communes, ils agissent en exécution du droit (indivisible) à la réfection de toutes les parties communes et non en réduction du prix (consid. 4.2).
Interprétation du contrat (art. 18 CO) – Rappel des principes (consid. 5.2.1).
Cession des droits de garantie (art. 172 et 467 al. 2 CO) – En l’occurrence, les contrats de vente immobilière contenaient tous des clauses de cession de droits de garantie. La plupart des contrats comportaient pour le surplus une clause d’exclusion de garantie de la venderesse, raison pour laquelle les instances cantonales avaient rejeté l’action à l’égard des acheteurs concernés ; l’action des deux copropriétaires dont le contrat était dépourvu d’une telle clause avait toutefois été admise.
En analysant les clauses litigieuses, le Tribunal fédéral retient qu’en l’absence d’une clause contractuelle limitant la propre obligation de garantie de la venderesse, le texte clair de la cession se comprend, selon le principe de la confiance, uniquement comme l’attribution aux acquéreurs de la possibilité d’exercer directement contre les entrepreneurs les prétentions en garantie du maître de l’ouvrage, lesquelles s’ajoutent donc à leurs droits de garantie envers la venderesse (consid. 5.2.3). Le Tribunal fédéral rappelle également qu’en matière de cession des droits de garantie, il est largement admis que le droit à la réfection du défaut est cessible, qu’il s’agisse de la prétention en suppression du défaut lui-même ou de la créance pécuniaire qui peut en découler (consid. 5.3).
Toutefois, la cession du droit de réfection intervient en vue d’exécution (art. 172 CO). En pareil cas, le cessionnaire (l’acheteur) est tenu, par application analogique de l’art. 467 al. 2 CO, de faire valoir en priorité le droit cédé, la prestation due par le cédant restant en suspens entretemps. Le cessionnaire ne doit toutefois respecter cette obligation que s’il dispose des informations suffisantes pour agir contre les entrepreneurs concernés. Au surplus, il doit uniquement faire les efforts qui peuvent être raisonnablement exigés de sa part. En particulier, il n’a pas à recourir à la voie judiciaire. De plus, comme seul le droit à la réfection peut être cédé, rien n’empêche l’acquéreur d’exercer envers le vendeur, si les conditions en sont remplies, le droit à la réduction du prix ou à la résolution du contrat, sans avoir à faire valoir préalablement le droit de réfection cédé (consid. 6.1).
En l’espèce, les acheteurs n’ont pas exercé leur droit de réfection envers les entreprises qui avaient œuvré sur les parties communes de l’immeuble affectées de défauts. De plus, les renseignements promis pour l’exercice des droits de garantie avaient été remis assez tôt aux acheteurs et il n’était pas démontré que la venderesse eut entravé les demandeurs dans l’exercice de leurs droits de garantie. Le recours de la venderesse est admis et l’action rejetée (consid. 6.2).
Analyse de l'arrêt TF 4A_152/2021
Blaise Carron
Professeur à l'Université de Neuchâtel, LL.M. (Harvard), Dr en droit, avocat spécialiste FSA droit du bail, avocat spécialiste FSA en droit de la construction et de l’immobilier
Mars 2023
TF 2C_365/2022 du 19 janvier 2023
Marchés publics; droit d’être entendu (accès au dossier); offre anormalement basse; interprétation des documents d’appel d’offres; exclusion d’une offre; règles relatives à la formation des prix; art. 29 al. 2 Cst.; AIMP
Droit d’être entendu (accès au dossier) (art. 29 al. 2 Cst.) – Le droit de consulter le dossier qui découle du droit d’être entendu n’est pas absolu et peut être limité en raison d’intérêts publics ou privés prépondérants. Une telle restriction s’applique notamment aux marchés publics. Les documents remis doivent en effet être traités de manière confidentielle dans la mesure où des secrets d’affaires ou de fabrication sont concernés, lesquels ne peuvent être utilisés, transmis ou communiqués à des tiers sans l’accord du soumissionnaire ou sans base légale. Selon la jurisprudence, il n’existe pas de droit de regard sur les offres concurrentes, mais uniquement sur les renseignements de référence sur lesquels l’adjudicateur souhaite se fonder, ce qui vaut également en procédure de recours (consid. 4.2).
Offre anormalement basse et droit d’être entendu – Selon une jurisprudence bien établie, les offres ne couvrant pas les coûts ou les sous-enchères sont autorisées. Selon l’ancien droit thurgovien applicable au cas d’espèce, l’adjudicateur « peut », en cas d’offres anormalement basses, se renseigner auprès du soumissionnaire afin de s’assurer qu’il respecte les conditions de participation et remplit les conditions du marché. Selon la jurisprudence, ce droit se transforme en obligation lorsque l’adjudicateur a des doutes sur la capacité du soumissionnaire à fournir la prestation ou sur le sérieux de l’offre et qu’il envisage d’exclure ce soumissionnaire. Dans ces cas, le soumissionnaire doit être entendu avant une éventuelle exclusion, sinon il y a violation du droit d’être entendu. Si les renseignements révèlent effectivement des lacunes ou que les doutes ne peuvent pas être levés, l’offre est donc exclue ou moins bien notée ; elle ne l’est pas en raison du prix trop bas (consid. 5.3).
Interprétation des documents d’appel d’offres – Rappel des principes (consid. 6.1).
En l’espèce, l’interprétation objective des documents d’appel d’offres permet d’arriver à la conclusion que chaque sous-poste devait indiquer le prix par unité de mesure ou par pièce et donc un prix unitaire. Ce n’est qu’ainsi que le prix total par sous-position pouvait être calculé, lequel résultait de la multiplication de la quantité et du prix unitaire (consid. 6.2).
Exclusion d’une offre – Conformément à la jurisprudence, l’adjudicateur dispose d’un certain pouvoir d’appréciation en ce qui concerne l’exclusion des soumissionnaires. Le motif d’exclusion doit toutefois présenter une certaine gravité, faute de quoi l’autorité adjudicatrice agit de manière disproportionnée et exagérément formaliste. Les écarts par rapport aux directives de l’appel d’offres et le non-respect des prescriptions de forme du droit des marchés publics peuvent conduire à l’exclusion d’une offre. Si de tels défauts ont un caractère secondaire et qu’ils ne portent pas sérieusement atteinte au but poursuivi par les prescriptions de forme en question, ils ne doivent toutefois pas conduire à l’exclusion d’un soumissionnaire. L’instance de recours ne peut qu’examiner si l’autorité adjudicatrice a dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation au sens précité, c’est-à-dire si elle a agi de manière arbitraire. En revanche, elle ne doit pas faire preuve de la même retenue dans l’examen des règles de procédure en matière de marchés publics (consid. 7.1).
Règles relatives à la formation des prix – Les règles relatives à la formation des prix, en particulier la condition d’indiquer des prix unitaires, constituent des règles formelles. Leur but est de donner un aperçu pertinent et complet du rapport qualité-prix des offres et de permettre leur comparaison. Le non-respect de telles prescriptions entraîne l’exclusion de la procédure d’adjudication. Il y a notamment non-respect de telles prescriptions lorsque le soumissionnaire utilise des prix tellement bas, c’est-à-dire non réels, pour des postes essentiels, de sorte que l’offre n’est pas comparable avec les autres offres. L’obligation d’indiquer les prix unitaires doit justement permettre une comparaison équitable entre les offres. Par conséquent, on peut et on doit exiger que tous les postes individuels importants soient entièrement remplis avec des prix unitaires. Dans le cas contraire, le rapport qualité-prix de l’offre ne peut pas être évalué. En règle générale, une telle offre doit être exclue parce qu’elle n’est pas comparable en raison de défauts de contenu, mais aussi parce qu’elle est incomplète (consid. 7.2).
En l’espèce, l’offre de la soumissionnaire qui a utilisé des prix unitaires d’un centime au lieu de prix unitaires réels, dans quatorze positions importantes pour l’ouvrage à réaliser, doit être exclue. En effet, une évaluation pertinente de cette offre, en particulier du rapport qualité-prix, est ainsi rendue impossible. Une telle offre est en outre incomplète (consid. 7.3). Le Tribunal fédéral ajoute encore que l’adjudicataire est tenu de respecter l’égalité de traitement, ce qui ne serait pas le cas si une offre présentant de graves défauts était prise en considération. Le remplacement ultérieur des prix de substitution de l’offre litigieuse par des prix réels n’était pas non plus possible en raison du principe de l’immuabilité des offres et de l’interdiction des tours d’offres (consid. 7.4).
Analyse de l'arrêt TF 2C_365/2022
Kreativität in der Preisbildung scheidet in Beschaffungsverfahren ausAvril 2023
TF 4A_603/2021 du 31 janvier 2023
Contrat mixte de vente et d’entreprise; expertise-arbitrage; garantie pour les défauts; vérification de l’ouvrage et notification des défauts; prescription; art. 367 ss CO; 189 CPC
Garantie pour les défauts (art. 367 ss CO) – Sauf convention contraire, en présence de contrats mixtes, combinant des éléments du contrat de vente et du contrat d’entreprise, la garantie des défauts est soumise aux règles du contrat d’entreprise (art. 368 ss CO), en tout cas pour les défauts affectant les parties communes (consid. 3.2).
Vérification de l’ouvrage et notification des défauts – Selon l’art. 367 CO, après la livraison de l’ouvrage, le maître d’ouvrage doit, dès que la marche ordinaire des affaires le permet, en vérifier l’état et signaler les défauts à l’entrepreneur. Si les défauts ne se révèlent que plus tard, l’avis doit être donné dès leur découverte, faute de quoi l’ouvrage est réputé approuvé nonobstant les défauts (art. 370 al. 3 CO). La loi crée une fiction de réception de l’ouvrage lorsque le maître d’ouvrage ne signale pas l’existence de défauts dès qu’il en a connaissance. L’entrepreneur est libéré de sa responsabilité pour les défauts signalés tardivement (art. 370 al. 1 CO). Les circonstances du cas concret, en particulier la nature des défauts, sont déterminantes pour apprécier si le maître a agi en temps utile. L’entrepreneur peut toutefois renoncer à se prévaloir de la tardiveté de l’avis de défaut. Cette renonciation peut être expresse ou tacite. C’est par exemple le cas lorsque l’entrepreneur, conscient de la tardiveté de l’avis, entreprend la réfection de l’ouvrage ou reconnaît son obligation de remédier au défaut. Les circonstances concrètes doivent permettre de déduire clairement une renonciation tacite : le fardeau de la preuve à cet égard incombe au maître de l’ouvrage (consid. 3.3).
En l’espèce, les parties ont signé une convention d’expertise-arbitrage au sens de l’art. 189 CPC, par laquelle ils ont notamment chargé l’arbitre de définir les modalités et les coûts de réfection de chaque défaut notifié. La convention prévoyait également que l’entrepreneur indemniserait les copropriétaires pour tous les défauts qui ne leur sont pas imputables dans un délai de trois mois à compter de la réception du rapport d’expertise. L’existence d’un avis de défaut valable était ainsi une condition préalable à l’accord et a été considérée comme acquise par les parties, subsidiairement l’entrepreneur a en tout état de cause renoncé à se prévaloir de la tardiveté des annonces en signant la convention (consid. 3.4-3.5).
Interruption de la prescription (art. 135 CO) – Rappel des principes (consid. 4.3).
En s’engageant dans une convention d’expertise-arbitrage à réparer les défauts qui seraient confirmés et quantifiés par l’expert, respectivement à indemniser les maîtres de l’ouvrage pour ces défauts, l’entrepreneur a signé une reconnaissance de dette entraînant l’interruption de la prescription (consid. 4.3).
Qualité pour agir dans la PPE – Selon une jurisprudence constante, chaque propriétaire d’étage peut sur la base de son propre contrat faire valoir les droits de la garantie pour les défauts pour les parties communes. La convention d’expertise-arbitrage ne prévoit pas de règle différente en l’espèce, de sorte que l’entrepreneur ne peut rien tirer du fait que les propriétaires d’étages signataires de la convention n’ont pas tous agi (consid. 5).
Cession des droits de garantie en cas de vente d’une demi-part de PPE au cours de litige – Selon la jurisprudence, le droit à la réduction du prix, en tant que droit formateur, est en principe incessible. Toutefois, une créance en restitution partielle du prix payé peut être cédée. Après la signature de la convention d’expertise-arbitrage, ce n’est plus le droit à la réduction du prix qui est cédé en cas de vente d’une demi-part de PPE mais la créance correspondante au remboursement d’une partie du prix, laquelle est cessible (consid. 6.2). Lorsque l’un des copropriétaires d’une part vend sa demi-part à l’autre copropriétaire, lequel devient alors seul propriétaire de la part d’étage, il incombe à celui qui conteste une cession valable d’apporter la preuve que la cession n’a pas été voulue, p.ex. en démontrant l’existence d’un litige sur cette question entre les parties au contrat de vente ou en démontrant que l’ancien copropriétaire qui a vendu sa demi-part continue de réclamer à l’entrepreneur une indemnité en lien avec les défauts. Comme tel n’est pas le cas en l’espèce, il faut retenir que le propriétaire (désormais) unique de la part d’étage en question est fondé à demander la réduction intégrale du prix relatif à sa part d’étage (consid. 6.3).
Contestation d’une expertise-arbitrage (art. 189 CPC) – L’expert-arbitre au sens de l’art. 189 CPC est en principe doté de connaissances spécialisées et est chargé par les parties de constater les faits juridiquement pertinents d’une manière qui les lie. S’agissant de ces faits, le juge saisi de la cause n’est donc pas tenu d’administrer d’autres preuves. Celui qui conteste une telle expertise doit démontrer une erreur manifeste et ne peut se borner à exiger le contrôle de son contenu librement. Les résultats d’une expertise-arbitrage doivent être immédiatement contestés, faute de quoi la contestation est contraire à la bonne foi et tardive. En outre, lorsqu’une partie n’a pas fait usage du droit, prévu dans la convention d’expertise-arbitrage, de demander à l’expert d’éventuelles précisions et compléments d’information, une erreur manifeste dans le rapport d’expertise au sens de l’art. 189 al. 3 CPC n’est pas vraisemblable (consid. 7).
Répartition de la moins-value – Une répartition de la moins-value proportionnelle aux parts de PPE n’est pas arbitraire, lorsque les défauts affectent les parties communes et donc le bâtiment dans son ensemble (consid. 9.2).
Analyse de l'arrêt TF 4A_603/2021
Le compromis d’expertise-arbitrage engage la partie qui le signeMai 2023
TF 5A_784/2021, 5A_793/2021, 5A_794/2021 - ATF 149 III 165 du 27 février 2023
Copropriété; suppression d’une copropriété; vente aux enchères publiques; art. 650 ss CC; 229 ss CO; ORFI
Suppression d’une copropriété (art. 650 ss CC ; art. 229 ss CO) – Chaque copropriétaire a le droit de demander la suppression de la copropriété (sous réserve des motifs d’exclusion mentionnés dans la loi). Si les copropriétaires ne parviennent pas à s’entendre sur le mode de dissolution, le juge ordonne le partage corporel de la chose ou, si cela n’est pas possible sans diminution notable de sa valeur, sa vente aux enchères publiques ou entre copropriétaires. Le tribunal doit décider en fonction des circonstances concrètes du cas d’espèce. Les contrats de vente conclus par voie d’enchères sont régis par les art. 229 à 236 CO : l’objet est en premier lieu les ventes aux enchères publiques volontaires (art. 229 al. 2 CO) ainsi que les ventes forcées (art. 229 al. 1 CO), qui sont toutefois exclusivement soumises à la LP.
Règles applicables à la vente aux enchères publiques au sens de l’art. 651 al. 2 CC – Le point litigieux est de savoir si les règles fixées par le tribunal de partage pour la vente aux enchères publiques, y compris l’estimation du bien par un expert désigné par le Tribunal, sont contraignantes ou si la vente aux enchères publiques est régie par la vente forcée d’immeubles selon la LP, qui offre la possibilité de procéder à une nouvelle estimation (art. 9 al. 2, art. 99 al. 2 ORFI).
Le Tribunal fédéral constate qu’il n’a jamais eu à trancher la question (consid. 3.4.1) et que les pratiques cantonales considèrent comme déterminantes les conditions d’enchères fixées par le tribunal de partage, ainsi que les art. 229 ss CO, en lien avec les dispositions de droit cantonal relatives à la vente aux enchères publiques (consid. 3.4.2). La doctrine indique également que la vente aux enchères publiques au sens de l’art. 651 al. 2 CC n’est pas considérée comme une vente forcée au sens de la LP ou de l’ORFI et qu’il revient plutôt au tribunal du partage de fixer les conditions de la vente aux enchères, dans la mesure où les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les détails, en tenant compte des ordonnances cantonales sur la vente aux enchères. Sont considérées comme des « ventes volontaires » non seulement les aliénations fondées sur la libre volonté, mais aussi les ventes aux enchères prévues par la loi dans de nombreuses dispositions, comme l’art. 651 al. 2 CC (consid. 3.4.3). Le Tribunal fédéral est d’avis que même si le caractère « volontaire » de la vente devait être nié, cela ne conduirait pas à l’application des règles de la LP et de l’ORFI, mais uniquement à l’application des règles cantonales, la participation d’un office dans le processus n’étant pas déterminante (consid. 3.5.2). Par conséquent, les modalités du partage ordonnées par le tribunal du partage sont contraignantes et notamment la désignation d’un expert déterminé pour l’estimation du bien ; l’office des poursuites n’a pas à procéder à une nouvelle estimation au sens de l’art. 9 al. 2 ORFI, sous réserve d’un accord contraire des parties (consid. 3.5.5).
Analyse de l'arrêt TF 5A_784/2021, 5A_793/2021, 5A_794/2021 - ATF 149 III 165
Pierre Rüttimann
Avocat spécialiste FSA droit de la construction et de l’immobilier, M.B.L.-HSG, LL.M., Mangeat Avocats Sàrl
Juin 2023
TF 5A_689/2022 _ ATF 149 III 451 du 6 avril 2023
Hypothèque légale des artisans et entrepreneurs; travaux donnant droit à l’inscription d’une hypothèque légale; art. 837 ss CC
Travaux donnant droit à l’inscription d’une hypothèque légale (art. 837 CC) – Rappel des principes (consid. 5.1 et 5.2.5). Une révision de 2012 a étendu l’hypothèque légale aux travaux de destruction d’un bâtiment ou d’autres ouvrages et au montage d’échafaudages, à la sécurisation d’une excavation ou à d’autres travaux semblables.
Avant cette révision, la jurisprudence a rappelé que l’hypothèque légale reposait sur l’idée que la plus-value d’un bien-fonds résultant de la construction devait garantir les créances des artisans et entrepreneurs qui avaient contribué à l’augmentation de la valeur par leurs prestations. Il en résultait que le travail sur l’immeuble ou sur un ouvrage qui en devenait partie intégrante étaient protégés par l’hypothèque, contrairement aux choses fongibles pour lesquelles il était possible de refuser de livrer et d’utiliser la marchandise autrement (consid. 5.2.1).
En suivant la doctrine majoritaire (cf. consid. 5.2.3), le Tribunal fédéral retient que la révision n’a pas fondamentalement changé l’étendue, respectivement la nature des prestations pouvant donner lieu à une hypothèque légale. La fourniture de matériaux de construction ne bénéficie de l’hypothèque légale que pour autant que ces matériaux aient été fabriqués spécialement pour l’immeuble en cause et spécialement déterminés, ce qui exclut le simple transport de matériaux. Les prestations d’évacuation et d’élimination de déblais ou de gravats de chantier ne donnent en principe pas droit à l’inscription d’une hypothèque légale, à moins de former une unité fonctionnelle avec les travaux effectués par la même entreprise pour la construction d’un ouvrage (consid. 5.2.6).
Unité fonctionnelle entre différentes prestations – Une unité entre différentes prestations est admise lorsque celles-ci sont liées entre elles de telle sorte qu’elles forment un tout. La qualification juridique, le nombre de contrats ou encore le fait que les prestations aient pour objet plusieurs ouvrages ou parties de l’immeuble, ne sont pas à eux seuls des éléments décisifs. Selon la jurisprudence, forment notamment un tout des commandes successives de béton frais pour un même chantier ou des travaux de terrassement devant être effectués en même temps que la réalisation d’une paroi moulée. L’existence d’une unité doit en revanche être niée lorsqu’un entrepreneur se voit attribuer, après coup, d’autres travaux de nature différente (consid. 6.2.2).
En l’espèce, le Tribunal fédéral nie l’unité fonctionnelle entre un travail de creuse et de remblayage convenu en cours de chantier et le travail de transport de matériaux et déblais. De même, les travaux effectués sur la rampe d’accès, lesquels portaient sur une partie précise de l’immeuble, ayant donné lieu à une convention séparée prévoyant un tarif particulier, ne formaient pas, matériellement et économiquement, une unité avec les activités de transport de matériaux et de déblais que l’entrepreneur a réalisées pendant toute la durée du chantier (consid. 6.2.3).
Analyse de l'arrêt TF 5A_689/2022 _ ATF 149 III 451
Etendue des travaux couverts par l’hypothèque légale des artisans et entrepreneursJuillet 2023
TF 1C_392/2022 et 1C_391/2022 - ATF 149 I 291 du 3 mai 2023
Garantie de la propriété; droits politiques et légalité d’une initiative populaire; garantie de la propriété; art. 26, 36, 74 ss Cst.
Droits politiques et légalité d’une initiative populaire – Rappel des principes.
Garantie de la propriété (art. 26 Cst.) – Le Tribunal fédéral rappelle que la propriété n’est garantie que dans les limites qui lui sont imposées par l’ordre juridique dans l’intérêt public. Selon une jurisprudence constante, il convient notamment de respecter les exigences de la protection des eaux (art. 76 Cst.), de la protection de l’environnement (art. 74 Cst.) et de l’aménagement du territoire (art. 75 Cst.). Ces intérêts publics importants et les limitations qui en découlent font partie du contenu de la garantie de la propriété et doivent être acceptés sans indemnisation, contrairement aux restrictions à la garantie qui sont assimilables à une expropriation.
En l’espèce, deux règlementations proposées par voie d’initiatives populaires communales visent la réduction des émissions de CO2 avec, comme mesures phares, d’une part l’utilisation obligatoire de chauffages fonctionnant uniquement avec des énergies renouvelables dès 2030 (arrêt 1C_391/2022) et, d’autre part, l’obligation d’installer dans les immeubles d’habitation de la commune des gaines passes-câbles permettant le raccordement aisé d’une station de recharge pour véhicules électriques (arrêt 1C_392/2022). Après avoir reconnu une compétence communale pour légiférer sur ces sujets, le Tribunal fédéral a vérifié la compatibilité des mesures avec la garantie constitutionnelle de la propriété. Dans la mesure où il n’est pas contesté qu’il existe une base légale et un intérêt public important à l’adoption de ces règlementations, se pose uniquement la question de leur proportionnalité. Selon le TF, ces mesures sont non seulement appropriées pour atteindre le but visé mais en plus, elles n’atteignent que les intérêts financiers des propriétaires, lesquels doivent être relativisés, puisque des contributions d’encouragement cantonales sont disponibles. La marge de manœuvre temporelle dont disposerait les propriétaires pour procéder aux modifications apparaît suffisante, ce qui renforce la proportionnalité des mesures. Ainsi, les règlementations proposées sont proportionnées et donc compatibles avec la Constitution : elles peuvent être soumises au vote populaire.
NB : Les deux arrêts sont reproduits dans le fichier annexé (TF 1C_391/2022 puis TF 1C_392/2022).
Analyse de l'arrêt TF 1C_392/2022 et 1C_391/2022 - ATF 149 I 291
Portée de la garantie de la propriété lors de l’adoption de règles constructives destinées à limiter les émissions de CO2Août 2023
TF 4A_145/2023 - ATF 149 III 405 du 3 juillet 2023
Droit de préemption; recours contre une décision incidente; action en paiement non chiffrée; dommage; cession de droits de préemption contractuels; cas de préemption; art. 85 et 237 CPC; 216b CO
Recours contre une décision incidente (art. 237 al. 2 CPC) – Lorsque le tribunal rend une décision incidente portant sur la validité de la cession d’un droit de préemption ainsi que sur l’exercice de celui-ci, il incombe à la partie qui s’y oppose de formuler un recours indépendant devant le tribunal supérieur ; un recours ultérieur en même temps que la décision finale n’est plus possible (consid. 1.3).
Action en paiement non chiffrée (art. 85 CPC) – En l’espèce, il est incontestable qu’au début de la procédure, il n’était pas encore possible ou raisonnable de chiffrer la demande, car elle dépendait d’une expertise sur la valeur vénale du terrain ; la condition de l’art. 85 al. 1 CPC était donc remplie. Est litigieuse la question de savoir si le fait d’avoir attendu les plaidoiries finales pour chiffrer les conclusions est admissible au sens de l’art. 85 al. 2 CPC. Le Tribunal fédéral reconnait que le chiffrage est intervenu sans retard dans le cas d’espèce, puisque l’expertise a été rendue en 2020 mais a continué à faire l’objet de critiques par la suite ; deux compléments d’expertise ont été fournis en date du 2 décembre 2020 et du 25 août 2021. Finalement, le tribunal a invité les parties à présenter leurs plaidoiries écrites dans une décision du 9 novembre 2021, dans laquelle il s’est encore prononcé sur la recevabilité de nombreux moyens de preuve. Il en résulte que seule la conclusion de l’administration des preuves permettait en l’espèce de chiffrer la demande, de sorte que le chiffrage intervenu dans les plaidoiries écrites du 28 février 2022 n’est pas tardif.
Cession de droits de préemption contractuels – La cessibilité des droits de préemption contractuels portant sur des immeubles est actuellement régie par l’art. 216b CO. Selon l’al. 1 de cette disposition, de tels droits de préemption ne sont pas cessibles, sauf convention contraire (consid. 5.1). En l’espèce, cette disposition, entrée en vigueur le 1er janvier 1994, n’existait pas à la conclusion du contrat et aucune autre disposition ne traitait de la question. Dans la jurisprudence et la doctrine, on retenait alors que le droit de préemption n’était généralement pas cessible, mais que la cessibilité pouvait résulter « de la volonté des parties ou des circonstances particulières du cas d’espèce ». C’est le cas en l’espèce, dans la mesure où les parties avaient un âge avancé à la conclusion du contrat et qu’il ressort d’une interprétation subjective de leur volonté, qu’elles auraient souhaité qu’une cession telle que celle d’espèce, c’est-à-dire entre vifs mais aux héritiers légaux, au compte d’une future succession, soit possible (consid. 5.2-5.4).
Dommage – Le dommage résultant de la violation du contrat qui confère le droit de préemption correspond en l’espèce en la différence entre la valeur vénale du terrain au moment de la violation contractuelle et le prix d’achat payé par l’acquéreur, auquel les bénéficiaires du droit de préemption auraient ainsi pu obtenir le terrain (consid. 6).
Cas de préemption – Lorsqu’un transfert de propriété est effectué pour le compte d’une future succession, il ne déclenche pas de cas de préemption, tant dans le nouveau que dans l’ancien droit. En effet, il n’y a généralement pas de cas de préemption lorsqu’une transaction est conclue en tenant spécialement compte des relations personnelles, comme c’est notamment le cas lors d’une avance d’hoirie, respectivement lorsqu’un immeuble est transféré à un héritier légal en tenant compte de son droit successoral futur. La vente se présente alors comme un règlement anticipé de la succession (consid. 7).
Analyse de l'arrêt TF 4A_145/2023 - ATF 149 III 405
François Bohnet
Avocat spécialiste FSA droit du bail, LL.M., Dr en droit, Professeur à l'Université de Neuchâtel
Septembre 2023
TF 1C_332/2022 - ATF 149 II 368 du 13 juillet 2023
Expropriation matérielle; refus de classement; zone à bâtir d’intérêt communal; art. 26 Cst.; 5 LAT
Expropriation matérielle (art. 26 Cst. ; 5 LAT) – Rappel des principes (consid. 3.2) ; date déterminante (consid. 3.4). Zone à bâtir d’intérêt communal – présentation du droit et de la jurisprudence tessinois (consid. 3.5).
Refus de classement – Rappel des principes (consid. 3.3.1). Le refus d’affecter une parcelle à une zone à bâtir se présente également lorsque, dans le cadre d’une première planification conforme à la LAT, une parcelle est placée en zone de constructions et d’installations publiques, c’est-à-dire dans une zone qui n’est pas réservée à la construction de bâtiments privés. Dès lors que le propriétaire ne peut pas construire son terrain, lequel est destiné à être acquis par la collectivité publique, la restriction s’apparente à un classement en zone agricole, même si le terrain demeure formellement dans la zone à bâtir (consid. 3.3.2).
En l’espèce, il n’est pas contesté que le plan antérieur à la mesure d’aménagement, datant de 1977, n’était pas conforme aux principes de la LAT (consid. 3.6.2). Par conséquent, la mesure correspondait à un refus de classer et non à un déclassement au sens de la jurisprudence fédérale (consid. 3.6.3). La Cour cantonale a reconnu à tort un cas d’expropriation sans examiner en détail si les conditions pour une indemnisation en cas de non-classement étaient remplies, croyant pouvoir s’appuyer sur la particularité d’un classement en zone d’intérêt public. Le TF renvoie la cause pour nouvel examen de ces conditions, en particulier de la constructibilité concrète des parcelles concernées (consid. 4).
Analyse de l'arrêt TF 1C_332/2022 - ATF 149 II 368
Limitation du pouvoir de disposition en zone à bâtir: restriction équivalente à une expropriation au sens de l’art. 5 al. 2 LAT ?Octobre 2023
TF 5A_100/2020 - ATF 149 III 393 du 15 août 2023
Propriété par étages; contestation des décisions de l’assemblée des propriétaires d’étages; répartition des charges communes et des frais de l’administration commune; modification du règlement de PPE; art. 75 et 712h, 712g, 712m CC
Contestation des décisions de l’assemblée des propriétaires d’étages (art. 712m et 75 CC) – Tout copropriétaire a le droit de contester devant le tribunal les décisions auxquelles il n’a pas consenti, dans le mois où il en a eu connaissance. L’action en contestation ne permet pas d’examiner l’opportunité et l’adéquation des décisions de l’assemblée des copropriétaires, mais seulement leur contrariété aux règles légales ou conventionnelles régissant la copropriété (consid. 2).
Répartition des charges communes et des frais de l’administration commune (art. 712h CC) – Rappel des principes. Règlement de PPE – Conformément à l’art. 712g al. 3 CC, chaque copropriétaire peut exiger qu’un règlement d’administration et d’utilisation, valable dès qu’il a été adopté par la majorité des copropriétaires représentant en outre plus de la moitié de la valeur des parts, soit établi et mentionné au registre foncier ; même si le règlement figure dans l’acte constitutif, il peut être modifié par décision de cette double majorité (consid. 3.1).
En l’espèce, les propriétaires d’étages avaient inscrit dans le règlement de PPE une règle de majorité des deux tiers pour les modifications du règlement, soit une règle plus restrictive que celle de l’art. 712g al. 3 CC qui prévoit la double majorité des copropriétaires et de la valeur des parts. Alors que le Tribunal fédéral avait toujours laissé la question ouverte (cf. consid. 3.4.1.1) et que la doctrine est partagée sur le sujet (cf. consid. 3.4.1.2), la Haute Cour parvient à la conclusion que la règle des deux tiers prévue par le règlement d’espèce est acceptable. Selon elle, toute règle dérogeant à la règle de majorité de l’art. 712g al. 3 CC doit répondre aux deux préoccupations suivantes : la majorité requise pour modifier un règlement de PPE doit, d’une part, permettre aux copropriétaires minoritaires de ne pas se voir imposer facilement une modification du règlement et, d’autre part, empêcher qu’un copropriétaire ou une minorité de copropriétaires exerce une influence telle qu’elle bloque toute modification et, partant, l’administration et le développement de l’ordre communautaire (consid. 3.4.1.2).
Analyse de l'arrêt TF 5A_100/2020 - ATF 149 III 393
Wenn die Klärung keine Klarheit bringtNovembre 2023
TF 4A_383/2022 du 25 septembre 2023
Responsabilité civile; action récursoire de l’assureur contre l’employeur; organe de fait; art. 72, 73, 75 LPGA; 55 CC; 101 et 328 CO
Action récursoire de l’assureur contre l’employeur (art. 75 al. 2 LPGA) – L’employeur est privilégié par rapport aux autres responsables en ce sens qu’il est exclu, à certaines conditions, du droit de recours de l’assureur. L’assureur ne dispose d’un droit de recours contre l’employeur d’une personne assurée à la suite d’un accident professionnel que si l’employeur a provoqué l’accident professionnel intentionnellement ou par négligence grave. Seul le recours des assureurs sociaux contre l’employeur et donc le principe de la subrogation intégrale sont limités. A l’inverse, la responsabilité de l’employeur envers le travailleur lésé existe en vertu de l’art. 328 CO même en cas de négligence et le travailleur lésé peut s’en prévaloir pour le dommage direct non couvert par les assureurs sociaux (consid. 1.2-1.3).
Organe de fait – Les organes d’une personne morale sont uniquement les personnes qui, en vertu de la loi, des statuts ou de l’organisation de fait, participent à la formation de la volonté de la société et sont dotées de la compétence décisionnelle juridique ou effective. Le fait qu’une personne dans le domaine technique exécute de manière autonome les travaux qui lui sont confiés ne change rien à la qualification de simple auxiliaire (consid. 2.1). Le souci de protéger la personne lésée a pu parfois conduire la jurisprudence à élargir la notion d’organe au sens de l’art. 55 CC. Toutefois, cela ne devrait pas être déterminant dans la mesure où la protection de la personne lésée est garantie par une assurance obligatoire (consid. 2.3).
En l’espèce, un chef d’entrepôt et un employé ont détaché des grilles en vue d’un nettoyage, ce qui a engendré la chute d’un autre employé. Selon le Tribunal fédéral, le chef d’entrepôt n’est pas un organe de fait : il ne s’agit pas ici d’un cas où l’instance administrative suprême ne se voit attribuer qu’un droit de surveillance général et où la gestion proprement dite est confiée à des tiers. Le chef d’entrepôt est un auxiliaire et son supérieur n’a pas créé lui-même la situation dangereuse et n’était donc pas responsable de la prise des mesures nécessaires pour désamorcer le danger (consid. 2.4).
Décembre 2023
TF 5A_203/2023 du 30 août 2023
Hypothèque légale des artisans et entrepreneurs; délai pour l’inscription d’une hypothèque légale; achèvement des travaux; art. 839 al. 2 CC
Délai pour l’inscription d’une hypothèque légale (art. 839 al. 2 CC) – L’inscription doit être obtenue, à savoir opérée au registre foncier, au plus tard dans les quatre mois qui suivent l’achèvement des travaux. Il s’agit d’un délai de péremption qui ne peut être ni suspendu ni interrompu, mais il peut être sauvegardé par l’annotation d’une inscription provisoire (consid. 4.1.1).
Achèvement des travaux – Il y a achèvement des travaux quand tous les travaux qui constituent l’objet du contrat d’entreprise ont été exécutés et que l’ouvrage est livrable. Ne sont considérés comme travaux d’achèvement que ceux qui doivent être exécutés en vertu du contrat d’entreprise et du descriptif, non les prestations commandées en surplus sans qu’on puisse les considérer comme entrant dans le cadre élargi du contrat. Des travaux de peu d’importance ou accessoires, différés intentionnellement par l’artisan ou l’entrepreneur, ou bien encore des retouches (remplacement de parties livrées mais défectueuses, correction de quelque autre défaut) ne constituent pas des travaux d’achèvement. Des travaux nécessaires, notamment pour des raisons de sécurité, même de peu d’importance, constituent donc des travaux d’achèvement. Les travaux sont ainsi jugés selon un point de vue qualitatif plutôt que quantitatif. Le délai commence à courir dès l’achèvement des travaux, et non pas dès l’établissement de la facture, même si cet élément peut constituer un indice de la fin des travaux (consid. 4.1.1).
En l’espèce, les travaux relatifs à l’hivernage d’une piscine ne constituent pas des travaux nécessaires, notamment pour des raisons de sécurité, mais des travaux différés volontairement en raison de la saison. Les autres interventions alléguées par l’entrepreneur correspondent soit à des travaux de réfection, soit à des travaux volontairement différés par l’entrepreneur (consid. 4.3).
Analyse de l'arrêt TF 5A_203/2023
Pierre Rüttimann
Avocat spécialiste FSA droit de la construction et de l’immobilier, M.B.L.-HSG, LL.M., Mangeat Avocats Sàrl
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