Newsletter juin 2023
Editée par Bohnet F., Eggler M. et Varin S., avec la participation de Magnin Ch.
Avec le soutien de La chambre des avocats spécialistes FSA en droit de la construction et de l'immobilier
Editée par Bohnet F., Eggler M. et Varin S., avec la participation de Magnin Ch.
Hypothèque légale des artisans et entrepreneurs; travaux donnant droit à l’inscription d’une hypothèque légale; art. 837 ss CC
Travaux donnant droit à l’inscription d’une hypothèque légale (art. 837 CC) – Rappel des principes (consid. 5.1 et 5.2.5). Une révision de 2012 a étendu l’hypothèque légale aux travaux de destruction d’un bâtiment ou d’autres ouvrages et au montage d’échafaudages, à la sécurisation d’une excavation ou à d’autres travaux semblables.
Avant cette révision, la jurisprudence a rappelé que l’hypothèque légale reposait sur l’idée que la plus-value d’un bien-fonds résultant de la construction devait garantir les créances des artisans et entrepreneurs qui avaient contribué à l’augmentation de la valeur par leurs prestations. Il en résultait que le travail sur l’immeuble ou sur un ouvrage qui en devenait partie intégrante étaient protégés par l’hypothèque, contrairement aux choses fongibles pour lesquelles il était possible de refuser de livrer et d’utiliser la marchandise autrement (consid. 5.2.1).
En suivant la doctrine majoritaire (cf. consid. 5.2.3), le Tribunal fédéral retient que la révision n’a pas fondamentalement changé l’étendue, respectivement la nature des prestations pouvant donner lieu à une hypothèque légale. La fourniture de matériaux de construction ne bénéficie de l’hypothèque légale que pour autant que ces matériaux aient été fabriqués spécialement pour l’immeuble en cause et spécialement déterminés, ce qui exclut le simple transport de matériaux. Les prestations d’évacuation et d’élimination de déblais ou de gravats de chantier ne donnent en principe pas droit à l’inscription d’une hypothèque légale, à moins de former une unité fonctionnelle avec les travaux effectués par la même entreprise pour la construction d’un ouvrage (consid. 5.2.6).
Unité fonctionnelle entre différentes prestations – Une unité entre différentes prestations est admise lorsque celles-ci sont liées entre elles de telle sorte qu’elles forment un tout. La qualification juridique, le nombre de contrats ou encore le fait que les prestations aient pour objet plusieurs ouvrages ou parties de l’immeuble, ne sont pas à eux seuls des éléments décisifs. Selon la jurisprudence, forment notamment un tout des commandes successives de béton frais pour un même chantier ou des travaux de terrassement devant être effectués en même temps que la réalisation d’une paroi moulée. L’existence d’une unité doit en revanche être niée lorsqu’un entrepreneur se voit attribuer, après coup, d’autres travaux de nature différente (consid. 6.2.2).
En l’espèce, le Tribunal fédéral nie l’unité fonctionnelle entre un travail de creuse et de remblayage convenu en cours de chantier et le travail de transport de matériaux et déblais. De même, les travaux effectués sur la rampe d’accès, lesquels portaient sur une partie précise de l’immeuble, ayant donné lieu à une convention séparée prévoyant un tarif particulier, ne formaient pas, matériellement et économiquement, une unité avec les activités de transport de matériaux et de déblais que l’entrepreneur a réalisées pendant toute la durée du chantier (consid. 6.2.3).
Contrat de vente; défaut; action rédhibitoire; art. 197, 205 et 208 CO
Défaut et action rédhibitoire (art. 197, 205 et 208 CO) – Rappel des principes (consid. 4.3).
En l’espèce, la possibilité de louer le bien immobilier avait été garantie par la venderesse dans l’acte de vente. Cette possibilité a été remise en cause par décision de l’autorité communale, appuyée par le gouvernement cantonal. Le moment pertinent est celui de la livraison de l’ouvrage. Même si le bien-fondé de la décision communale fait l’objet d’une procédure pendante, il y a bel et bien défaut à la livraison, puisque l’on ne pouvait pas exiger de l’acheteuse qu’elle attende des années l’issue d’une procédure administrative (consid. 4.3). Les frais de notaire relatifs à la vente doivent également être remboursés, car ils représentent un dommage direct au sens de l’art. 208 al. 2 CO. Les intérêts sur le montant de la vente et des frais de notaire sont également dus (consid. 5.2).
NB : l’arrêt du TF 4A_191/2021 porte sur la même problématique entre des parties différentes ; la solution est identique.
Droits de voisinage; démarcations sur la limite; usages locaux; art. 5, 670, 686, 741 CC
Démarcations sur la limite – Selon l’art. 670 CC, les clôtures servant à la démarcation de deux immeubles, telles que murs, haies, barrières, qui se trouvent sur la limite, sont présumées appartenir en copropriété aux deux voisins. Rappel des principes (consid. 3 à 3.2). Cette disposition établit une présomption qui peut être renversée par un acte juridique entre les voisins ou un usage local contraire au sens de l’art. 5 al. 2 CC (consid. 3.3.2).
Usages locaux – Rappel des principes (consid. 3.3.4). La législation cantonale peut déterminer les distances que les propriétaires sont tenus d’observer dans les fouilles ou les constructions. Elle peut établir d’autres règles pour les constructions et ce y compris en lien avec les démarcations sur la limite au sens de l’art. 670 CC (art. 686 CC) (consid. 3.4).
Le canton de Berne a adopté l’art. 79i LiCCS, lequel prévoit qu’un mur de soutènement placé sur la limite est considéré comme faisant partie intégrante du fonds du propriétaire qui l’a construit. Si cela ne peut être déterminé, le mur est réputé appartenir en copropriété aux deux voisins. Selon le Tribunal fédéral, cette disposition pouvait être adoptée en vertu de l’art. 686 CC et n’est pas contraire au droit fédéral (consid. 3.5).
Celui qui achète un fonds sur lequel son prédécesseur en droit avait érigé une palissade sur la limite devient également propriétaire de cette dernière selon le droit bernois (consid. 4) ; il en supporte partant l’obligation d’entretien exclusive. L’art. 741 al. 2 CC relatif à l’entretien des ouvrages nécessaires à l’exercice d’une servitude n’est pas applicable par analogie (consid. 5).
Servitude; servitude de conduite; intérêt à agir; légitimation active; art. 691 CC; 24c LAT
Intérêt à agir et légitimation active (art. 59 CPC) – Les procédures de permis de construire et d’inscription de servitude sont deux procédures distinctes l’une de l’autre, qui ne se préjugent pas mutuellement et pour lesquelles la loi ne prescrit pas d’ordre précis. Il est sans conséquence pour l’intérêt à agir qu’aucune demande de permis de construire n’ait été déposée (consid. 4.1). En outre, c’est bien le propriétaire voisin qui a la légitimation active et ce, même si le maître d’ouvrage est formellement le Service cantonal des eaux qui agit sur demande des propriétaires demandeurs (consid. 4.2).
Servitude de conduite (art. 691 CC) – Rappel des principes (consid. 3). En l’espèce, le bâtiment concerné ne dispose pas d’un approvisionnement suffisant en eau potable, qu’il soit utilisé comme résidence permanente ou à des fins de vacances (consid. 6.1.1). De plus, la construction d’une conduite alternative n’est pas possible, car le (futur) fonds servant entoure la parcelle concernée de tous côtés. Enfin, les inconvénients de la conduite pour les propriétaires du fonds servant sont jugés faibles, les éventuelles pertes d’exploitation devant le cas échéant être indemnisées (consid. 6.1.2). La question de savoir si une utilisation conforme à sa destination au sens de l’art. 24c LAT peut être faite du bâtiment litigieux devra être tranchée dans une éventuelle procédure de permis de construire et ne concerne pas la procédure de servitude (consid. 6.2). Par conséquent, le droit à l’inscription d’une servitude de conduite est confirmé par le Tribunal fédéral.
Servitude; motivation de l’appel; servitudes de conduite et d’empiètement; art. 674 et 691 CC; 311 CPC
Motivation de l’appel (art. 311 CPC) – Rappel des principes (consid. 4.2.1).
Servitude d’empiètement – Lorsqu’un ouvrage empiète sur le fonds d’autrui et que le lésé, bien qu’il s’en soit rendu compte, ne s’y oppose pas en temps utile, le propriétaire de bonne foi peut se voir attribuer, si les circonstances le justifient, contre une indemnité équitable, une servitude d’empiètement ou la propriété du sol (art. 674 al. 3 CC). Cette disposition est applicable par analogie lorsque, lors de la construction de l’ouvrage à cheval sur deux fonds, les deux terrains appartenaient au même propriétaire et ne sont passés qu’ultérieurement en des mains différentes (consid. 5.1).
En l’espèce, une fosse à purin s’est trouvée, par division cadastrale, séparée de l’étable pour ânes dont elle est attenante. Les propriétaires de l’étable cherchent à obtenir un droit réel sur la fosse à purin. Une expertise a toutefois nié l’utilité de la fosse à purin pour l’élevage des ânes. En outre, l’intérêt des propriétaires actuels de la fosse à la combler afin de sécuriser leur terrain et éviter des risques de pollution du terrain et de la nappe phréatique devait l’emporter. En conséquence, le droit à obtenir une servitude d’empiètement est nié (consid. 5.2.3).
Servitude; mesures provisionnelles; préjudice irréparable; art. 731 ss CC; 261 ss CPC; 93 LTF
Préjudice irréparable (art. 93 LTF) – Lorsque les travaux ont été arrêtés par des mesures provisionnelles fondées sur une servitude litigieuse, il existe un risque de préjudice irréparable au sens de l’art. 93 LTF. En effet, non seulement il peut exister des risques importants de dommages statiques et dus aux intempéries sur l’ouvrage en cours de construction, mais en plus la constructrice et l’acheteuse sont privées de la jouissance de leur bien pendant toute la procédure (consid. 1.2).
Mesures provisionnelles (art. 261 ss CPC) – Rappel des principes (consid. 3.1).
En l’espèce, le Tribunal fédéral confirme, au stade de la vraisemblance, la validité d’une servitude octroyant un droit de superficie à la limite pour une maison individuelle à toit plat et la non-conformité du projet en cours de construction à cette servitude. En outre, les conditions du risque d’atteinte et du risque de préjudice difficilement réparable de cette atteinte sont également réunies pour le prononcé de mesures provisionnelles (consid. 3.5).
Marchés publics; question juridique de principe; adaptation du contrat après adjudication; interruption de la procédure d’adjudication; art. 83 LTF
Question juridique de principe (art. 83 let. f LTF) – Rappel des principes (consid. 2.2). La question de savoir dans quelle mesure le projet de contrat peut encore être adapté sur certains points après l’adjudication ne constitue pas une question juridique de principe : dans l’ATF 134 II 297, le Tribunal fédéral a retenu qu’au moment de l’adjudication, tous les éléments essentiels du futur contrat doivent déjà être réglés, mais que les négociations contractuelles entre l’autorité adjudicatrice et l’adjudicataire ne commencent qu’après la clôture de la procédure d’adjudication et que les partenaires contractuels peuvent encore s’entendre librement sur les points secondaires (consid. 3.1.1). Dans le cas d’espèce, tous les éléments essentiels du futur contrat étaient déjà fixés au moment de l’adjudication (consid. 3.1.2 et 3.1.3).
La question de l’interruption de la procédure d’adjudication a également fait l’objet de jurisprudence fédérale. Une interruption n’est possible qu’à titre exceptionnel, à condition qu’il existe un motif important, l’autorité adjudicatrice disposant d’un important pouvoir d’appréciation à cet égard (consid. 3.2.1). S’il est vrai que le Tribunal fédéral ne s’est pas encore prononcé sur la question spécifique de savoir si des « défauts essentiels » dans le cahier des charges nécessitent une interruption de la procédure, la Haute Cour relève que, dans le cas d’espèce, l’existence de telles irrégularités n’était pas prouvée, de sorte que la question n’est pas pertinente pour solutionner le litige d’espèce (consid. 3.2.2 à 3.3).