Newsletter juillet 2023
Editée par Bohnet F., Eggler M. et Varin S., avec la participation de Brückner S.
Avec le soutien de La chambre des avocats spécialistes FSA en droit de la construction et de l'immobilier
Editée par Bohnet F., Eggler M. et Varin S., avec la participation de Brückner S.
Garantie de la propriété; droits politiques et légalité d’une initiative populaire; garantie de la propriété; art. 26, 36, 74 ss Cst.
Droits politiques et légalité d’une initiative populaire – Rappel des principes.
Garantie de la propriété (art. 26 Cst.) – Le Tribunal fédéral rappelle que la propriété n’est garantie que dans les limites qui lui sont imposées par l’ordre juridique dans l’intérêt public. Selon une jurisprudence constante, il convient notamment de respecter les exigences de la protection des eaux (art. 76 Cst.), de la protection de l’environnement (art. 74 Cst.) et de l’aménagement du territoire (art. 75 Cst.). Ces intérêts publics importants et les limitations qui en découlent font partie du contenu de la garantie de la propriété et doivent être acceptés sans indemnisation, contrairement aux restrictions à la garantie qui sont assimilables à une expropriation.
En l’espèce, deux règlementations proposées par voie d’initiatives populaires communales visent la réduction des émissions de CO2 avec, comme mesures phares, d’une part l’utilisation obligatoire de chauffages fonctionnant uniquement avec des énergies renouvelables dès 2030 (arrêt 1C_391/2022) et, d’autre part, l’obligation d’installer dans les immeubles d’habitation de la commune des gaines passes-câbles permettant le raccordement aisé d’une station de recharge pour véhicules électriques (arrêt 1C_392/2022). Après avoir reconnu une compétence communale pour légiférer sur ces sujets, le Tribunal fédéral a vérifié la compatibilité des mesures avec la garantie constitutionnelle de la propriété. Dans la mesure où il n’est pas contesté qu’il existe une base légale et un intérêt public important à l’adoption de ces règlementations, se pose uniquement la question de leur proportionnalité. Selon le TF, ces mesures sont non seulement appropriées pour atteindre le but visé mais en plus, elles n’atteignent que les intérêts financiers des propriétaires, lesquels doivent être relativisés, puisque des contributions d’encouragement cantonales sont disponibles. La marge de manœuvre temporelle dont disposerait les propriétaires pour procéder aux modifications apparaît suffisante, ce qui renforce la proportionnalité des mesures. Ainsi, les règlementations proposées sont proportionnées et donc compatibles avec la Constitution : elles peuvent être soumises au vote populaire.
NB : Les deux arrêts sont reproduits dans le fichier annexé (TF 1C_391/2022 puis TF 1C_392/2022).
Responsabilité civile; délimitation avec le droit public; responsabilité du détenteur d’ouvrage; art. 41 ss CO
Délimitation avec le droit public – La responsabilité des collectivités publiques cantonales et communales est en principe régie par les art. 41 ss CO, sous réserve de l’adoption par les cantons de dispositions de droit public cantonal (art. 59 et 61 CO). De jurisprudence constante, s’il existe une norme fédérale de responsabilité dans une loi spéciale (p.ex. art. 58 LCR) ou parmi les dispositions spéciales du CO (p.ex. art. 56 et 58 CO ; art. 679 CC) qui s’applique également aux collectivités publiques, la norme fédérale prime et les cantons ne peuvent pas y déroger (consid. 4.2).
Responsabilité du détenteur d’ouvrage (art. 58 CO) – rappel des principes (consid. 5.1 et 5.2).
En l’espèce, la réalisation d’un remblai terreux en contrebas d’une route communale aurait endommagé le chalet du propriétaire voisin, lequel a déposé une demande selon la responsabilité étatique de droit public cantonal. Or, le Tribunal fédéral confirme qu’un tel remblai constitue un ouvrage au sens de l’art. 58 CO, ce qui ne laisse aucune place pour l’application du droit public cantonal (consid. 5.3). Même si le remblai se trouve sur la parcelle d’un tiers, c’est bien la Commune, propriétaire de la route, qui en est responsable au sens de l’art. 58 CO. En effet, selon la jurisprudence, lorsque deux choses juridiquement indépendantes forment un seul et même ouvrage d’un point de vue fonctionnel et que le défaut affectant la chose la moins importante se présente comme un défaut de l’autre, il importe peu que les deux choses appartiennent à des propriétaires différents. La responsabilité du propriétaire de l’ouvrage de l’art. 58 CO est alors encourue par le propriétaire de la partie la plus importante, qui a en principe construit l’ouvrage dans son ensemble, l’utilise, en dispose effectivement et doit donc veiller à son entretien (consid. 5.4). Par conséquent, le Tribunal fédéral confirme l’arrêt d’irrecevabilité de l’instance précédente.
Contrat d’entreprise; défauts ; compensation; art. 367 ss CO; 166 ss Norme SIA
Défaut – Définition et rappel des principes. L’ouvrage doit répondre aux exigences techniques et à la destination que le maître lui réserve. Si celui-ci entend affecter l’ouvrage à une destination sortant de l’ordinaire, il doit en aviser l’entrepreneur. En revanche, il n’a pas cette obligation lorsque l’utilisation prévue est usuelle ; l’ouvrage doit alors correspondre, au minimum, aux règles de l’art reconnues ou à un standard équivalent (consid. 4).
En l’espèce, un agriculteur a conclu un contrat d’entreprise portant sur une installation de biogaz. L’acier choisi pour l’anneau supérieur du digesteur, qui aurait dû rester stable pendant dix ans, a néanmoins souffert de corrosion trois ans à peine après la mise en service. Bien qu’il s’agisse d’un indice en faveur de l’existence d’un défaut, cet élément ne suffit pas pour admettre l’arbitraire du tribunal précédent qui a retenu qu’il était plus probable qu’un mauvais réglage de l’oxygène insufflé dans l’installation était la cause de la corrosion prématurée. Le Tribunal fédéral souligne que l’entrepreneur aurait certainement dû proposer un autre acier plus résistant, mais que le maître n’avait rien allégué à ce sujet en procédure (consid. 5).
Contrat d’entreprise; violation de la promesse de contracter; art. 22, 97 et 377 CO
Violation de la promesse de contracter un contrat d’entreprise (art. 22 et 97 en lien avec 377 CO) – Si le promettant se départit du précontrat, le dommage à réparer est celui que son partenaire contractuel subit du fait de l’inexécution du contrat principal lui-même, soit du contrat d’entreprise. Les règles des art. 97 en lien avec l’art. 377 CO s’appliquent (consid. 5).
En l’espèce, dès lors que les maîtres d’ouvrage se sont départis du contrat pour un pur prétexte, les dommages-intérêts positifs sont dus dans leur entièreté (consid. 5.1). Ils peuvent être établis sur la base des devis fournis antérieurement, respectivement du projet de contrat d’entreprise qui n’a finalement pas été signé (consid. 5.3).
Contrat d’entreprise; matériaux utilisés sur le fonds d’autrui; réserve de forme; dol; art. 671 ss CC; 16 et 28 CO
Matériaux utilisés sur le fonds d’autrui (art. 671 ss CC) – Rappel des principes. Ces dispositions ne s’appliquent pas si la mise en place des matériaux a été effectuée sur la base d’un contrat entre le propriétaire des matériaux et le propriétaire foncier, pas plus que lorsque l’assemblage du matériel avec le terrain a été effectué par quelqu’un qui n’est ni propriétaire du matériel ni propriétaire du terrain (consid. 4.2). En l’absence d’allégation et de preuve, par l’entrepreneur, d’une utilisation de ses propres matériaux sur le fonds d’autrui et d’enrichissement du propriétaire du fonds, l’indemnité au sens de l’art. 672 CC n’est pas due (consid. 4.4).
Réserve de forme (art. 16 CO) – Lorsque les parties avaient réservé une forme particulière pour toute modification du contrat, à savoir la forme écrite accompagnée de la « signature juridiquement valable des deux parties », cette réserve de forme est globale et s’applique également à toutes les modifications de commande, quel que soit leur titre. Il est présumé (de manière réfutable) que les parties n’ont pas voulu convenir d’une modification de la commande si cette forme n’a pas été respectée (consid. 5.2). Il incombe à la partie qui veut renverser cette présomption d’alléguer et de prouver que la modification est intervenue tacitement (consid. 5.3.2).
Dol (art. 28 CO) – Rappel des principes (consid. 8.2).
Contrat d’entreprise; imputation des paiements en présence de plusieurs dettes; action partielle; art. 86-87 CO; 86 et 150 CPC
Imputation des paiements en présence de plusieurs dettes (art. 86 et 87 CO) – Rappel détaillé des règles en vigueur (consid. 3.1-3.1.4.3). Il résulte de cette réglementation que le débiteur doit certes prouver qu’il a effectué le paiement et qu’il supporte à cet égard le fardeau de la preuve de l’amortissement. En revanche, le fardeau de la preuve de la créance à laquelle le paiement doit être imputé ne lui incombe que dans la mesure où il invoque une imputation différente de celle de l’art. 87 CO. Lorsque le créancier ne conteste pas avoir reçu les paiements ni le fait que ceux-ci sont suffisants pour couvrir toutes les dettes, il doit démontrer que le débiteur a attribué les montants versés, lors de leur paiement, à d’autres créances que celles poursuivies en justice (art. 86 al. 1 CO) (consid. 3-2 à 3.7).
Action partielle – Ce qui précède vaut même en cas d’action partielle. Dans ce cadre également, la preuve doit être apportée non seulement sur les créances réclamées elles-mêmes, mais aussi sur tous les faits contestés pertinents (art. 150 CPC). Dans la mesure où le débiteur n’a pas attribué ses paiements non contestés soit aux créances poursuivies (auquel cas l’action devrait être rejetée), soit clairement à d’autres créances que les créances poursuivies (auquel cas l’imputation sur les créances poursuivies - pour autant qu’aucune compensation ne soit déclarée - serait exclue indépendamment de l’existence des autres créances), la question de savoir quelles sont les créances dont le créancier dispose encore contre le débiteur en plus de celles poursuivies devient juridiquement pertinente (consid. 3.3.4).
Servitude; interprétation d’une servitude; servitude de distance à la limite et droit public; art. 738 CC
Interprétation d’une servitude (art. 738 CC) – Rappel des principes (consid. 3.3.1-3.3.3).
Servitude de distance à la limite – L’inscription au registre foncier d’une servitude de distance à la limite (Näherbaurecht) comprend le droit de construire à une distance inférieure à la distance légale à la limite du bien-fonds voisin. Ainsi, le propriétaire du fonds grevé doit tolérer que le propriétaire du fonds dominant construise sur son fonds à une distance inférieure à la distance minimale légale à la limite. Dans le cas d'une telle servitude réciproque, les propriétaires fonciers concernés s'engagent mutuellement à tolérer un bâtiment ou une partie de bâtiment de l'autre dans la zone de distance (consid. 3.5).
Lien avec le droit public – Les servitudes de distance à la limite doivent s’inscrire dès le départ dans le cadre de ce qui est admissible en droit public : il n’est pas possible de déroger aux règles de droit public sur les distances par cet instrument (consid. 3.6). Dans l’hypothèse dans laquelle le droit public ne permet pas aux deux propriétaires voisins de bénéficier de la servitude réciproque, le Tribunal fédéral considère, suivant la doctrine sur le sujet, que le premier constructeur bénéficie du privilège de distance alors que le second doit s’éloigner davantage de la limite pour résoudre le conflit entre la servitude et les prescriptions de droit public en matière de distance entre les bâtiments. Cette solution doit en tout cas prévaloir, lorsqu’il ne ressort ni du contrat de servitude ni des autres circonstances, que les parties contractantes ont une obligation de s'écarter de la limite dans la même proportion (consid. 3.6.3).
Convention collective de travail; extension du champ d’application d’une CCT; art. 1 ss LECCT
Extension du champ d’application d’une CCT (art. 1 ss LECCT) – Rappel des principes (consid. 4.1 ss).
En l’espèce, le Tribunal fédéral confirme la validité de l’extension du champ d’application de la Convention collective de travail des ingénieurs, des architectes et des professions apparentées, au niveau cantona (TC), laquelle avait été décidée par l’exécutif tessinois.
Assurance immobilière, élément naturel; dommage combiné; LAIEN/VD
Elément naturel – Des pluies torrentielles peuvent être considérées comme élément naturel couvert par l’assurance, même si la loi vaudoise ne les mentionne pas expressément ; il n’est pas arbitraire de les rattacher à la catégorie des inondations (consid. 5).
Dommage combiné – Selon l’Accord sur la délimitation et les actions récursoires, conclu le 20 juin 2015 entre l’Association des établissements cantonaux d’assurance d’incendie et l’Association Suisse d’Assurances (actuellement remplacé par un Accord révisé du 1er septembre 2019), les dommages dus à l’infiltration conjointe d’eau de surface (de plain-pied) et d’eau de l’intérieur de la terre (eaux souterraines, reflux des canalisations) au cours d’un événement lié à la même cause météorologique (dommages combinés) sont pris en charge exclusivement par les établissements cantonaux d’assurance (consid. 6).
Droit foncier agricole; révocation d’une autorisation d’acquérir une entreprise agricole; qualité pour recourir; art. 61 ss et 83 LDFR
Autorisation d’acquérir une entreprise agricole (art. 61 ss LDFR) – Rappel des principes (consid. 5.2.1). Qualité pour recourir – L’art. 83 al. 3 LDFR prévoit d’un côté que les parties contractantes peuvent interjeter un recours devant l’autorité cantonale de recours contre le refus d’autorisation et, de l’autre côté, que l’autorité cantonale de surveillance, le fermier et les titulaires du droit d’emption, du droit de préemption ou du droit à l’attribution peuvent recourir contre l’octroi de l’autorisation. Bien que cette disposition ne soit pas exhaustive, il s’agit d’une lex specialis à l’art. 89 LTF visant à limiter le cercle de personnes qui peuvent recourir contre une autorisation (consid. 5.2.2). Cette disposition s’applique également à la qualité pour recourir contre la révocation d’une autorisation d’acquérir (consid. 5.3 et 5.4). En application de l’art. 83 al. 3 LDFR, l’aliénateur de l’entreprise agricole n’a pas la qualité pour recourir contre une décision rejetant la révocation de l’autorisation (consid. 5.4.2 et 5.5).
NB : l’arrêt du TF 2C_926/2022, du 13 juin 2023 porte sur la même problématique et reprend la solution de l’arrêt résumé ici.