Analyse de l’arrêt TF 5A_275/2025

Christian Petermann, Avocat spécialiste FSA de la construction et de l’immobilier, Expert immobilier EPFL, Arbitrator / ArbP

La libération judiciaire d’un usufruit

I. Objet de l’arrêt

Le Tribunal fédéral suisse a récemment tranché dans l’arrêt TF 5A_275/2025 prononcé le 22 octobre 2025 la question de savoir si l’époux au bénéfice d’un droit d’usufruit immobilier inscrit au Registre foncier pouvait réclamer à son épouse, nue-propriétaire, une indemnisation en compensation de la renonciation à son droit d’utilisation et de jouissance d’une résidence secondaire à la suite du divorce sur la base de l’art. 736 al. 1 CC.

La IIe Cour de civil a, en substance, retenu que l’usufruit ne donne pas uniquement le droit d’user d’une chose, mais également le droit d’en jouir, ce qui permet à son titulaire d’épuiser la valeur économique de la chose aussi longtemps que dure son droit.

Ainsi et quand bien même il faudrait admettre que le recourant aurait perdu tout intérêt à user du chalet en raison du divorce comme retenu dans l’arrêt entrepris, il conserve à tout le moins un intérêt objectif à exploiter sa valeur.

II. Résumé de l’arrêt

A. Les faits

Les époux A. et B., parents de C., né en 2012, se sont mariés en 2010 dans le canton de Genève sans conclure de contrat de mariage.

Le mari a deux enfants, tous deux majeurs, issus d’une précédente union.

Par acte de vente-achat du 10 août 2018, l’épouse a acquis deux parcelles dans le canton du Valais sur l’une desquelles est érigé un chalet. Cet acte mentionne par ailleurs qu’un droit d’usufruit est constitué en faveur du mari pour toute la durée de vie de celui-ci avec une valeur locative de ce droit fixée à 4 % de la valeur cadastrale, que l’exercice de ce droit se ferait conjointement avec l’épouse et que les parties sont rendues attentives à la portée du droit d’usufruit notamment en ce qui concerne les obligations d’entretien, la charge fiscale et les intérêts hypothécaires.

Préalablement, dans un courriel adressé le 27 juillet 2018 au notaire ayant instrumenté l’acte précité, les parties avaient indiqué : «  merci de modifier l’acte de vente afin que [l’épouse] soit Ia seule propriétaire à acquérir le bien (en effet, nous sommes une famille recomposée avec enfants et souhaitons que seul notre enfant, plus tard, hérite de ce bien immobilier)  ».

Les époux se sont séparés au mois de juin 2020.

Dans sa procédure de divorce, le mari a conclu à l’allocation d’un capital de CHF 189’432.- comme contrepartie financière à la renonciation à son droit d’usufruit, à ce qu’il soit ordonné au Registre foncier de procéder à la radiation de son droit d’usufruit sur les parcelles concernées moyennant le paiement de la contrepartie financière susmentionnée.

La Cour de Justice, statuant sur appel de l’époux contre le jugement du Tribunal de première instance qui lui était défavorable, l’a rejeté.

Par acte du 11 avril 2025, l’époux exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l’arrêt cantonal précité, invoquant une violation l’art. 736 al. 1 CC et d’arbitraire dans l’établissement des faits.

Il conclut principalement à son annulation en tant qu’il confirme le rejet de sa demande d’indemnité relative à la renonciation de son droit d’usufruit et à sa réforme dans le sens de ses conclusions prises en première instance ; subsidiairement, il sollicite le renvoi de la cause à la Cour de justice afin qu’elle statue dans le sens des considérants du Tribunal fédéral.

Invitée à déposer des réponses, la Cour de justice s’est référée aux considérants de son arrêt et l’intimée a conclu au rejet du recours. Le recourant a répliqué et l’intimée dupliquée.

B. Le droit

La recevabilité et devoir de motivation

Le Tribunal fédéral, après avoir examiné les conditions de recevabilité du recours et constaté qu’elles étaient réunies, rappelle les devoirs de motivation des griefs soulevés devant lui et sa jurisprudence en matière de correction de l’état de fait tel que constaté par l’autorité précédente.

Le raisonnement de la Cour de Justice

La Haute Cour résume, au considérant 3.1, le raisonnement mené par la Cour de Justice au terme duquel elle était parvenue à la conclusion que l’usufruit de l’ex-mari avait perdu son utilité.

Le droit d’usufruit devait, selon l’instance cantonale, s’exercer conjointement avec la nue-propriétaire et non pas de manière exclusive, supposait une intimité qui n’était en général partagée que par des conjoints ou les membres d’une même famille, untel droit de co-utilisation n’étant pas séparable du contexte du mariage dans lequel sa constitution s’était inscrite. C’était la séparation du couple et la fin de la communauté de vie qui s’en était suivie qui avaient privé l’usufruit de son intérêt et non pas une révocation unilatérale opposée par la propriétaire. L’on ne pouvait, en conséquence, exiger de cette dernière ni qu’elle utilise le chalet avec son ex-mari ni qu’elle accorde à celui-ci, malgré le divorce, la possibilité d’user du logement.

La Cour de Justice constatait que l’exercice du droit tel que convenu par les parties n’était plus envisageable dans un avenir prévisible ce qui consacrait bel et bien une impossibilité objective de poursuivre l’exercice, conjoint, dudit droit conformément à son but initial et ce quand bien même il s’agissait d’une résidence secondaire.

Les griefs du recourant

Au considérant 3.2, le Tribunal fédéral expose les griefs développés par le recourant lesquels tiennent, en substance, sur les axes suivants, à savoir :

  1. La volonté des parties avait été établie de manière arbitraire, les pièces du dossier, en particulier une première version du projet d’acte démontrait que le but recherché de faire en sorte que les parties « aient les mêmes droits sur le chalet » ;
  2. Le bien litigieux était une résidence secondaire et non une résidence principale ;
  3. Un partage de la jouissance d’un tel bien dans le temps était parfaitement envisageable ;
  4. La doctrine et la jurisprudence admettent que les époux pouvaient, dans le cadre d’une séparation, occuper en alternance une résidence secondaire ;
  5. L’usufruit conserve un intérêt dans l’hypothèse où l’intimée décidait de louer le chalet puisque les parties devraient se partager les loyers ;
  6. Il en allait de même si l’intimée décédait ou devenait incapable d’exercer son droit, étant donné que, dans ces hypothèses, il pourrait se rendre seul au chalet ou décider de le louer ;
  7. La renonciation à un usufruit est considérée par la jurisprudence comme étant un dessaisissement au sens de l’art. 11 al. 1 de la Loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (LPC ; RS 831.30), ce qui signifiait qu’un usufruit avait une valeur tant qu’il n’avait pas perdu toute utilité, ce qui n’était pas le cas ici.

Les moyens de l’intimée

Au considérant 3.3, le Tribunal fédéral détaille les moyens de l’intimée en relevant que, selon elle, les parties n’avaient jamais acheté – ni souhaité acheter – le chalet en copropriété, que l’usufruit avait été constitué pour éviter que leur fils commun ait à partager le bien avec son père et/ou ses demi-frères, qu’ainsi, l’usufruit devait s’exercer avec elle, conformément à la signification du terme «  conjointement  », à savoir «  ensemble et en même temps qu’une autre personne  » selon la définition du Larousse, qu’il était constant que la servitude était limitée à la vie commune des parties et que l’allégation du recourant selon laquelle l’usufruit lui aurait été consenti sa vie durant était erronée.

S’agissant de l’interprétation de la réelle et commune intention des parties opérée par les juridictions précédentes, l’intimée estimait qu’elle reposait à la fois sur le texte clair de l’acte mais aussi sur le contexte familial, le souhait des parties exprimé au notaire, l’état de santé de l’intimée lors de la constitution de l’usufruit, les déclarations du recourant et les déclarations fiscales des parties.

La notion d’usufruit immobilier : un droit d’usage et un droit de jouissance

Au considérant 3.4, le Tribunal fédéral explicite la notion d’usufruit, rappelant qu’il comprend à la fois un droit d’usage et un droit de jouissance sur la chose impliquant le pouvoir de percevoir les fruits naturels et civils (art. 755 ss CC) et que sa constitution est régie par les règles concernant la propriété (art. 746 al. 2 CC), l’usufruit immobilier devant revêtir la forme authentique (art. 657 al. 1 CC).

L’interprétation des volontés des parties

Citant l’ATF 144 III 93 consid. 5.2.2, la Haute Cour souligne que, comme pour tout contrat, le juge doit tout d’abord s’efforcer de déterminer la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective) ; si elle aboutit, cette démarche conduit à une constatation de fait. Pour y procéder, peuvent et doivent être prises en considération toutes les déclarations et attitudes des parties, ainsi que les circonstances antérieures, concomitantes et postérieures à la conclusion du contrat, le comportement ultérieur des parties permettant d’établir quelles étaient à l’époque les conceptions des parties elles-mêmes.

L’application par analogie des servitudes foncières

Se fondant, ensuite, sur la doctrine, le Tribunal fédéral fait sien, au considérant 3.4.3, l’avis selon lequel l’extinction de l’usufruit peut également intervenir en application de l’art. 736 CC par analogie avec les servitudes foncières, le nu-propriétaire devant dans ce cas être assimilé au propriétaire du fonds grevé et l’usufruitier au propriétaire du fonds dominant.

Aux termes de l’art. 736 al. 1 CC, le propriétaire grevé peut exiger la radiation d’une servitude qui a perdu toute utilité pour le fonds dominant.

L’art. 736 al. 2 CC prévoit que le propriétaire grevé peut obtenir la libération totale ou partielle d’une servitude dans les cas suivants, à savoir :

  1. Lorsque l’usufruit ne conserve qu’une utilité réduite ;
  2. Lorsque son utilité est hors de proportion avec les charges imposées au fonds servant.

La libération au sens de cette dernière disposition suppose deux conditions cumulatives, à savoir :

  1. Les faits qui aggravent la charge pour le fonds servant sont postérieurs à la constitution de la servitude ;
  2. L’intérêt au maintien de la servitude est devenu proportionnellement ténu, telle hypothèse étant réalisée dans deux cas ce soit :
    1. en raison d’une diminution de l’intérêt du propriétaire du fonds dominant ;
    2. en présence d’une aggravation de la charge pour le propriétaire du fonds servant1.

L’indemnisation de la libération

Le Tribunal fédéral rappelle que la libération ne peut intervenir que contre indemnité dans le cadre de l’art. 736 al. 2 CC2.

Le parallélisme entre l’usufruitier et le nu-propriétaire / fonds dominant et fonds servant

La Haute Cour illustre, au considérant 3.4.4, le parallélisme entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, d’une part, et le fonds dominant et le fonds servant, d’autre part.

Selon la Haute Cour, il convient de vérifier l’identité des intérêts du fonds dominant à deux moments particuliers, à savoir :

  1. Selon son but initial ou celui qui existait au moment de la constitution de la servitude3 qui doit s’apprécier selon des critères objectifs4, en fonction de toutes les circonstances du cas d’espèce et relève du pouvoir d’appréciation du juge5 ;
  2. L’intérêt actuel du fonds dominant.

Le non-usage comme indice de la perte d’utilité et extinction du droit

Si le non-usage volontaire d’une servitude foncière peut constituer un indice de la perte d’utilité et donc de l’extinction du droit6, la charge de la preuve de la perte d’utilité de la servitude pour le fonds dominant incombe néanmoins au propriétaire du fonds grevé (art. 8 CC). Les règles de la bonne foi (art. 2 CC) imposent toutefois à la partie défenderesse de coopérer à la preuve de ce fait négatif, obligation qui ne touche pas au fardeau de la preuve et n’implique nullement un renversement de celui-ci7.

Un état de la doctrine

Au considérant 3.4.5, le Tribunal fédéral procède à une analyse soigneuse et détaillée de la doctrine dont les avis peuvent être illustrés comme il suit :

  • L’application par analogie de l’art. 736 al. 2 CC à l’extinction de l’usufruit est une simple possibilité concevable par exemple lorsqu’un usufruit porte sur une gravière épuisée8 ;
  • Une radiation pour perte totale d’utilité est difficilement envisageable dans le cas de l’usufruit, mais pas exclue en théorie9 ;
  • une disparition de tout intérêt de l’usufruitier au sens de l’art. 736 al. 1 CC ne saurait entrer en considération tant que l’usufruitier peut utiliser ou profiter d’une quelconque manière du bien car même s’il n’est plus en mesure subjectivement d’en jouir personnellement et directement, il conserve un intérêt objectif à exploiter sa valeur. Ce n’est que lorsque le droit semble totalement inintéressant de ce point de vue que l’application de l’art. 736 al. 1 CC paraît possible10.

La subsomption

Sur la base des règles et principes qui précèdent, le Tribunal fédéral parvient aux conclusions suivantes, à savoir :

  1. Le droit d’usufruit en faveur du mari a été convenu pour toute la durée de vie de celui-ci ainsi que le stipule l’acte de vente-achat du 10 août 201811 ;
  2. Les objections de l’intimée selon lesquelles ce droit aurait été consenti uniquement pendant la vie commune ou n’aurait pas été convenu viager s’avèrent peu convaincantes ;
  3. Les parties ont chacune allégué en première instance qu’elles avaient souhaité acquérir ensemble un chalet en Valais ;
  4. Le but de l’usufruit était notamment que les premiers enfants du mari n’héritent pas ;
  5. L’usufruit n’offre pas des droits exclusifs à son bénéficiaire ;
  6. La réelle et commune intention des parties n’était pas de permettre au recourant d’utiliser le chalet uniquement de manière concomitante avec l’épouse, dans le seul contexte du mariage ;
  7. Le Cour de justice ne saurait être suivie lorsqu’elle considère que l’exercice commun voulu supposerait une intimité qui n’est possible qu’entre époux ou entre les membres d’une même famille ;
  8. L’usage commun d’une chose ne signifie pas que l’on doive s’en servir simultanément et il n’est pas rare en pratique que plusieurs personnes, sans lien préexistant, se partagent l’usage d’un immeuble de la sorte, par exemple sous la forme d’une propriété en temps partagé (time-sharing12) ;
  9. Les cas dans lesquels une perte totale d’utilité d’un usufruit au sens de l’art. 736 al. 1 CC doit être reconnue sont rares, voire théoriques, le simple fait que son titulaire ne soit plus en mesure subjectivement d’en jouir personnellement et directement n’étant en tous les cas pas suffisant ;
  10. La Cour de justice et l’intimée omettent que l’usufruit ne donne pas uniquement le droit d’user d’une chose, mais également le droit d’en jouir, ce qui permet à son titulaire d’épuiser la valeur économique de la chose aussi longtemps que dure son droit ;
  11. C’est en violation de l’art. 736 al. 1 CC que l’arrêt entrepris retient que l’usufruit pouvait être radié sans indemnité car il aurait objectivement perdu tout son intérêt.

Le Tribunal fédéral admet, ainsi, le recours, annule l’arrêt entrepris et renvoie la cause pour nouveau jugement dans le sens des considérants.

III. Analyse

Destiné à la publication, l’arrêt TF 5A_275/2025 mérite une analyse non seulement intrinsèque mais aussi contextuelle visant à déterminer si l’application a para a simili de l’art. 736 al. 2 CC au cas particulier du consentement à radiation de l’usufruit portant sur une propriété immobilière dans le contexte d’un divorce avec indemnisation pourrait être transposée à d’autres situations comparables ou, à défaut, si la solution pragmatique et sans doute progressiste trouvée par la Haute Cour demeure finalement limitée à la seule manière dont la réelle et commune volonté des parties pouvait être interprétée dans le cas d’espèce.

Il faut, tout d’abord, constater que tout usage et jouissance d’un bien ne confère pas nécessairement la qualité d’usufruitier d’un bien immobilier.

Si la jouissance du bien immobilier est une composante nécessaire, voire une condition sine qua non du droit à la compensation de la renonciation dans le cas de l’arrêt 5A_275/2025, faut-il encore qu’un tel droit ait été formellement et explicitement convenu entre les parties, de surcroît par acte authentique.

La seule jouissance du bien par le pseudo-usufruitier n’est, en effet, pas suffisante en soi pour obtenir un jugement ordonnant la constitution d’un tel droit et encore moins une indemnité en cas de refus, fût-ce même dans le contexte d’une séparation13.

Ensuite, l’usage et la jouissance commune d’un bien immobilier que l’usufruitier et le nu-propriétaire doivent avoir convenus et qualifiés comme tels doivent être soigneusement distingués de l’exercice conjoint de droits d’usufruit.

Le premier cas, qui correspond à la situation des époux dans l’arrêt TF 5A_275/2025, exclut de facto l’application des règles sur la copropriété par la volonté même des parties, le recourant souhaitant éviter avec la bénédiction de son épouse que son fils né d’un premier mariage hérite de la résidence secondaire, sans que l’intimée ni la Cour de justice n’y aient vu l’expression d’une quelconque simulation.

Dans le second cas, l’exercice en commun d’un droit d’usufruit est soumis aux règles de la copropriété.

Une servitude personnelle telle qu’un usufruit peut, effectivement, être constituée en faveur d’une seule personne ou en faveur de plusieurs personnes déterminées. Dans l’hypothèse où plusieurs personnes bénéficient ensemble d’un usufruit, il convient de leur appliquer par analogie les règles sur la copropriété (art. 646 à 651 CC) lorsqu’elles n’ont pas entre elles un lien juridique faisant naître une propriété commune selon l’art. 652 CC (communauté héréditaire, société simple), ou les règles sur la propriété commune (art. 652 à 654 CC) lorsque les titulaires sont liés entre eux par un tel rapport de communauté.

La doctrine romande parle, par analogie avec la propriété, de co-usufruit dans le premier cas et d’usufruit commun dans le second14. L’art. 740a al. 1 CC prévoit d’ailleurs que, lorsque plusieurs ayants droit participent par une servitude de même rang et de même contenu à une installation commune, les règles de la copropriété sont, sauf convention contraire, applicables par analogie15.

Lorsque plusieurs personnes ont, chacune pour sa quote-part, la propriété d’une chose, qui n’est pas matériellement divisée, elles en sont copropriétaires (art. 646 al. 1 CC). Aux termes de l’art. 648 al. 1 2e phr. CC, chaque copropriétaire jouit de la chose et en use dans la mesure compatible avec le droit des autres. Ce droit d’usage et de jouissance est déterminé par la quote-part (art. 646 al. 3 CC)16.

L’indemnisation selon l’art. 736 al. 2 CC n’ayant pas fait l’objet d’une jurisprudence suffisamment pertinente en matière d’usage et de jouissance d’un bien immobilier occupé en commun à titre de résidence par un couple marié, qu’elle soit principale ou secondaire17, il paraît difficile d’imaginer la casuistique qui se dégage de la solution de l’arrêt 5A_275/2025.

D’autres situations seraient-elles envisageables, telles par exemple l’usufruit sur une résidence principale, entre personnes non mariées ou toute autre combinaison possible ?

L’analyse intrinsèque de l’arrêt semble, quoi qu’il en soit, aboutir au constat que la reconstitution de la réelle et commune volonté des parties a sans doute pesé légèrement plus lourd dans la balance en faveur d’une indemnisation de la renonciation que les avis de doctrine cités au considérant 3.5, en particulier l’avis de Mermoud selon lequel il n’est pas rare en pratique que plusieurs personnes, sans lien préexistant, se partagent l’usage d’un immeuble de la sorte, par exemple sous la forme d’une propriété en temps partage (time-sharing).

Cet avis demeure effectivement isolé et la pratique qu’il est censé illustrer ne prouve ni l’existence d’un statut tacite d’usufruitier ni nécessairement un intérêt de l’usufruitier à l’usage et à la jouissance d’une résidence secondaire, pas du moins à telle intensité qu’il réalisât ex lege les conditions de l’art. 736 al. 2 CC.

Sans doute l’élément le plus pertinent pour envisager une application plus large, voire généralisée de cette jurisprudence doit-il être recherché dans le passage du considérant 3.5 jugeant « rares, voire théoriques » les cas dans lesquels une perte totale d’utilité d’un usufruit au sens de l’art. 736 al. 1 CC devrait être reconnues.

Il aurait, enfin, été intéressant que la Haute Cour se prononce sur la pertinence de la motivation du recourant fondée sur l’art. 11 al. 2 LPC.

L’arrêt analysé enseigne, quoi qu’il en soit, aux plaideurs de même qu’aux futurs pratiquants de l’usufruit et de la nue-propriété entre époux qu’un acte authentique réglant explicitement le sort de l’indemnisation en cas de renonciation réduira le risque que le Juge interprète faussement leurs volontés sur la base de l’art. 18 CO.



Notes
  1. ATF 107 II 331, consid. 4 ; cf. dans ce sens déjà ATF 43 II 29, consid. 2
  2. Cf. les versions italienne et allemande de l’art. 736 al. 2 CC ; ATF 107 II 331, consid. 4 ; arrêts 5A_340/2013 du 27 août 2013, consid. 5.3.1 ; 5A_676/2012 du 15 avril 2013, consid. 4.3.1
  3. ATF 151 III 313, consid. 2 ; 130 III 554, consid. 2 ; 121 III 52, consid. 2a ; 114 II 426 consid. 2a
  4. ATF 130 III 554, consid. 2 ; 121 III 52 consid. 3a
  5. Art. 4 CC ; arrêt 5A_63/2024 du 23 janvier 2025, consid. 3.1
  6. Arrêt 5A_379/2024 du 11 avril 2025, consid. 5.1.2
  7. ATF 151 III 313,consid. 2
  8. Steinauer, Les droits réels, t. III, 5e éd. 2021, p. 97 n. 3709 ; Leemann, in Berner Kommentar, 1925, n. 18 ad art. 748 CC ; Farine Fabbro, L’usufruit immobilier, 2000, p. 229
  9. Simonius et Sutter in Schweizerisches Immobiliarsachenrecht, Die beschränkten dinglichen Rechte, t. II, 1990, p. 114 n. 80 ; voir aussi Pradervand-Kernen, La fin de l’usufruit immobilier, in L’usufruit immobilier, Questions pratiques et d’actualité, 2018, p. 78 s. n. 41
  10. Baumann in Zürcher Kommentar, 3e éd. 1999, no 53 ss ad art. 748 et 749 CC
  11. Ce fait constaté par l’arrêt attaqué lie le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF)
  12. Mermoud, Le temps partagé dans la jouissance de la propriété par étages, 2008, n. 1 ss
  13. ACJC/1493/2023 du 6 novembre 2023, consid. 4.2 qui demeure pertinent sur la question de l’usufruit nonobstant l’arrêt 5A_967/2023 du 4 novembre 2024.
  14. ATF 133 III 311 consid. 4.2.2 ; Steinauer, Les droits réels, Tome III, 2021, n. 3606 ; Farine Fabbro, L’usufruit immobilier, thèse Fribourg 2000, p. 9 ss
  15. ACJC/840/2025 du 17 juin 2025, consid. 6.1.3 et références citées ; Voir également l’arrêt ACJC/406/2023 du 21 mars 2023, consid. 8.2 confirmé par TF 5A_358/2023 du 1er février 2024 où l’indemnisation selon l’alinéa 2 de l’art. 736 CC ne se posait toutefois pas
  16. Steinauer, Les droits réels, Tome I, 6e éd. 2019, n. 1744
  17. Arrêts TF 5A_109/2020 du 28 octobre 2020, consid. 4 ; 5A_265/2009 du 17 novembre 2019, consid. 6.1 qui effleure la question
Proposition de citation
Christian Petermann, La libération judiciaire d'un usufruit, analyse de l’arrêt du Tribunal fédéral 5A_275/2025, Newsletter Droit Immobilier.ch décembre 2025
Servitude

Servitude

Publication prévue

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