Analyse de l'arrêt TF 5A_17/2024
29 avril 2025
Le choix de la PPE de ne pas faire respecter son propre règlement
I. Objet de l’arrêt
Dans l’arrêt commenté, destiné à la publication, le Tribunal fédéral n’a pas annulé et, par-là, confirmé une décision de l’assemblée des propriétaires d’étages, par laquelle la communauté a renoncé à faire respecter son règlement d’administration et d’utilisation. Pour la Haute Cour, dès lors que seuls deux propriétaires d’étages sont touchés par la décision, ceux-ci peuvent agir par le biais du droit du voisinage, soit en particulier par l’action en cessation du trouble (art. 679 et 684 CC).
II. Présentation de l’arrêt
A. Les faits
Deux propriétaires d’étages ont remplacé le revêtement du sol de leur partie exclusive. Or, selon l’art. 7 du Règlement d’administration et d’utilisation de la PPE, il est interdit aux copropriétaires de surcharger excessivement les sols de leurs pièces et de modifier la nature des revêtements de sol, y compris la sous-structure, de manière à détériorer les conditions acoustiques au détriment des autres unités d’étages.
Les voisins de l’étage inférieur ont saisi l’assemblée des propriétaires d’étages de la question et ont demandé que l’administration soit chargée d’exiger des propriétaires concernés le démontage des revêtements de sol installés dans un délai de deux mois et, si nécessaire, à faire appliquer cette décision par voie judiciaire. La communauté a toutefois rejeté cette demande par onze voix contre une.
Cette décision a été attaquée par les propriétaires de l’étage inférieur, en première et deuxième instances, toujours en vain. Ils ont donc déposé un recours auprès du Tribunal fédéral.
B. Le droit
Statut de la communauté des propriétaires d’étages – Le Tribunal fédéral commence par rappeler que la communauté n’a pas de personnalité juridique, mais qu’elle acquiert, dans le cadre de son activité administrative, une certaine autonomie, dans la mesure où elle est capable d’agir dans ce domaine et où elle peut agir en justice et faire l’objet de poursuites judiciaires en son nom [consid. 2.3.1].
Action en raison du trouble et PPE (art. 679, 684, 712a ss CC) – Dans une seconde explication, le Tribunal fédéral souligne que le propriétaire d’étages, comme tout propriétaire foncier, dispose de voies de recours pour se défendre contre les atteintes illégales à sa propriété, y compris contre d’autres copropriétaires qui portent atteinte à son droit exclusif. Il peut notamment intenter une action en cessation des immissions excessives [consid. 2.3.1].
Respect du règlement d’administration – Le Tribunal fédéral ajoute que l’assemblée des propriétaires d’étages peut toujours modifier le règlement en respectant la majorité requise (art. 712g al. 3 et 4 CC). Par conséquent, il apparaît opportun qu’un propriétaire d’étages ne puisse pas directement agir contre un autre propriétaire d’étages pour exiger le respect du règlement. Il doit au contraire obtenir une décision de la communauté, qu’il pourra, le cas échéant, attaquer judiciairement [consid. 2.3.1].
Contestation d’une décision de l’assemblée des propriétaires d’étages (art. 75, 712m CC) – A cet égard, le Tribunal fédéral indique qu’il est possible de faire valoir par voie de justice que la décision contestée enfreint la loi ou les statuts, qui correspondent notamment dans le droit de la PPE au règlement d’administration et d’utilisation. Sont notamment considérées comme des violations de la loi, les infractions à l’interdiction de l’abus de droit et à l’obligation d’égalité de traitement entre propriétaires. En revanche, il n’est pas possible de vérifier le caractère raisonnable et approprié d’une décision [consid. 2.3.1].
Décision contraire au règlement – Sur ce point, le Tribunal fédéral se réfère à la doctrine, laquelle affirme qu’il existe une obligation de faire respecter le règlement, si nécessaire par voie de justice : la communauté des copropriétaires doit veiller au respect de l’ordre réglementaire. Ainsi, soit la communauté fait respecter le règlement (à la demande d’un propriétaire ou de l’administrateur) en engageant une action en justice contre le propriétaire fautif, soit elle décide (à la majorité requise) de modifier le règlement. Si une décision de l’assemblée des copropriétaires de ne pas appliquer le règlement est contestée, le tribunal doit examiner au préalable si le comportement du copropriétaire réprimandé enfreint le règlement. S’il conclut à une violation du règlement, la plainte doit être acceptée [consid. 2.3.4].
Représentation de la communauté par l’administrateur (art. 712t CC) – Pour engager une procédure civile, que ce soit à l’initiative de l’administrateur ou de la partie adverse, l’administrateur doit, en dehors de la procédure sommaire du CPC, obtenir l’autorisation préalable de l’assemblée des propriétaires d’étages, sauf dans les cas urgents où l’autorisation peut être obtenue ultérieurement.
Pour le Tribunal fédéral, cela signifie que loi accorde à la communauté le droit de décider librement, dans le cadre de la loi et du règlement de la communauté, si elle veut ou non mener le procès. Elle est certes tenue, par l’intermédiaire de son administrateur, en tant qu’organe exécutif, de veiller au respect du règlement, mais il n’en découle toutefois aucune obligation de faire appliquer le règlement par voie de justice, quelles que soient les circonstances concrètes. Dans le cas contraire, toute liberté de la majorité compétente pour la décision serait supprimée dans ce domaine. La Haute Cour souligne qu’il peut exister de nombreuses raisons de renoncer à une procédure (frais de justice ; chances de succès ; conséquences en matière de vie communautaire, etc.) [consid. 2.3.5].
Le Tribunal fédéral indique que, dans le cas d’espèce, la modification contestée des revêtements de sol a un impact uniquement sur la relation entre l’unité d’étage concernée et l’unité de l’étage inférieur. Les intérêts communs ne sont pas concernés, ce qui peut constituer une raison objective, pour la communauté, de renoncer à une procédure judiciaire. Les propriétaires directement concernés ont ainsi la possibilité d’intenter une action en raison du trouble (art. 679 et 684 CC). Le Tribunal fédéral souligne que la disposition réglementaire prétendument violée est importante dans le cadre d’une telle action, dans la mesure où elle permet de déterminer s’il y a une atteinte excessive. Du point de vue du Tribunal fédéral, il s’agit là d’un recours juridique raisonnable pour agir contre les perturbations de leur propriété causées par l’installation des nouveaux revêtements de sol. Selon les juges, cela ne semble pas constituer un abus de droit et aucune inégalité de traitement des copropriétaires n’a été invoquée [consid. 2.4].
II. Commentaire
1. Critiques du raisonnement du Tribunal fédéral
a. Introduction
Le raisonnement du Tribunal fédéral dans l’arrêt commenté prête le flanc à la critique à plusieurs égards. Certes, le Tribunal fédéral y expose correctement le rôle de l’administrateur quant au règlement d’administration et d’utilisation ainsi que la liberté de la communauté des propriétaires d’initier une procédure judiciaire1. Cependant, la Haute Cour en déduit à tort la possibilité, pour la communauté, de demeurer dans une situation incohérente de non-respect du règlement (cf. infra b), ce qui conduit à renoncer à régler la vie communautaire par les procédures prévues à cet effet (cf. infra c). Ce faisant, la jurisprudence du Tribunal fédéral prive le propriétaire minorisé de la possibilité d’imposer par la voie judiciaire le respect du règlement.
b. Le non-respect du règlement : une situation bancale et insatisfaisante
Le règlement d’administration et d’utilisation joue un rôle essentiel dans une PPE. Il constitue l’ensemble de normes, adopté par la communauté des propriétaires d’étages, pour régir la vie communautaire2. Compte tenu de son importance, tout propriétaire peut exiger l’adoption d’un règlement (art. 712g al. 3 CC) et celui-ci produit un effet propter rem (art. 649a CC), de sorte qu’il s’impose notamment à tout acquéreur d’une part d’étages3.
La loi confie explicitement la mission à l’administrateur de faire respecter le règlement d’administration et d’utilisation (art. 712s al. 3 CC). Cette fonction de contrôle doit être exercée avec « bon sens et doigté »4, qui plus est lorsqu’il s’agit de l’utilisation des parties exclusives, pour lesquelles il est admis que son contrôle est restreint5. Lorsque l’administrateur intervient, son action consistera le plus souvent en une interpellation orale ou écrite du propriétaire d’étages concerné voire, dans les cas les plus graves, en la prise d’une sanction prévue par le règlement ou de l’ouverture d’une procédure sommaire6. En tous les cas, il n’est pas envisageable que l’administrateur dépasse ses prérogatives en matière de représentation, en particulier par l’ouverture d’une procédure judiciaire pour laquelle il n’a pas le pouvoir de représentation légal (cf. 712t al. 2 CC), au nom du respect du règlement7. En d’autres termes, la mission de contrôle confiée à l’administrateur à l’art. 712s al. 3 CC doit être comprise en relation avec l’art. 712t CC en matière de représentation.
De cette interprétation systématique, le Tribunal fédéral déduit, d’une part, une liberté absolue de l’assemblée des propriétaires d’étages de ne pas introduire de procédure judiciaire et, d’autre part et de manière tacite, la possibilité pour la communauté de demeurer passive face à une violation du règlement8.
Ce dernier aspect nous apparaît problématique. L’importance du règlement soulignée ci-dessus et son effet propter rem constituent, pour le propriétaire d’étages, autant un ensemble d’obligations qui s’imposent à lui qu’un ensemble de droits, respectivement une promesse pour l’acquéreur d’une part d’étages (art. 649a CC). Lorsque ces droits, issus du règlement, sont bafoués, et donc la promesse déçue, le propriétaire d’étages doit pouvoir attaquer la décision de la communauté avec succès, puisqu’il s’agit de la voie de droit spécifique, à sa disposition, en cas de violation du règlement9. La voie de la contestation d’une décision de l’assemblée, prévue par l’art. 712m CC en lien avec l’art. 75 CC, vise explicitement les violations du droit et celles de l’ordre communautaire, dont fait partie le règlement d’administration et d’utilisation10.
Ainsi, lorsqu’un propriétaire se prévaut d’une violation du règlement, la communauté des propriétaires d’étages devrait selon nous choisir parmi les options suivantes :
(i) faire respecter le règlement, y compris par la voie judiciaire, si cela s’avère nécessaire ;
(ii) modifier le règlement en respectant la règle de majorité nécessaire pour le faire et entériner ainsi le comportement qui apparaissait contraire à l’ancien règlement11 ;
(iii) considérer qu’il n’y a pas de violation du règlement et prendre le risque que le juge saisi par le propriétaire d’étages mécontent en décide autrement et condamne la communauté au respect du règlement.
Cette dernière constellation correspond à celle des autorités, si elles renoncent à appliquer le droit qu’elles ont elles-mêmes créé : l’instance judiciaire saisie de cette situation va les forcer au respect du droit, respectivement indiquer qu’une autre solution nécessiterait une modification législative.
Une situation de non-respect du règlement d’administration et d’utilisation par une majorité des propriétaires d’étages ne devrait pas être protégée par le juge, car elle prive le propriétaire d’étages de l’instrument de protection de la minorité représenté par l’art. 75 CC12 et le règlement de sa force obligatoire selon l’art. 649a CC. Elle ouvre donc forcément et inutilement – pour ne pas écrire illicitement – la question de la valeur du règlement en place : dans le cas traité dans l’arrêt commenté, que se passera-t-il si un autre propriétaire d’étages modifie les revêtements du sol malgré l’interdiction règlementaire ? La communauté pourrait-elle agir contre ce second contrevenant alors qu’elle s’est abstenue dans le premier cas, parce que la tête du premier propriétaire d’étages ne lui convenait pas ? Si tel est le cas, la question de l’arbitraire et de l’égalité de traitement entre propriétaires d’étages se posera dans la procédure. Si elle ne peut pas agir dans cette hypothèse, faudrait-il retenir que le règlement a en réalité été modifié tacitement alors que le Tribunal fédéral exclut lui-même explicitement et pour des motifs de sécurité du droit les décisions tacites de la communauté des propriétaires d’étages13 ?
En tous les cas, il faut souligner qu’une modification du règlement exige la double majorité des propriétaires d’étages et des quotes-parts (art. 712g al. 3 CC), voire l’unanimité dans certains cas (art. 712g al. 2 CC), alors que le rejet d’agir contre un propriétaire d’étages peut intervenir avec une majorité simple14. Il n’est donc pas acceptable qu’il soit possible de « modifier » implicitement le règlement par une décision prise à la majorité simple.
En réalité, la solution du Tribunal fédéral – qui consiste à permettre à une situation de non-respect du règlement de perdurer – ne repose que sur l’existence, en l’espèce, d’une voie de droit alternative pour le propriétaire d’étages qui subit l’infraction au règlement. Imaginons la situation suivante : un propriétaire d’étages fait un usage de sa part d’étage contraire au règlement (location airbnb, usage commercial, etc.), sans pour autant causer à ses voisins de nuisances, respectivement d’atteintes excessives au sens des art. 679 et 684 CC. Cela signifierait que le propriétaire d’étages qui souhaite s’opposer à un tel usage malgré le refus de la communauté de s’emparer du sujet, n’aurait plus aucun moyen de le faire. Pour autant, cette interdiction peut revêtir pour lui un intérêt subjectif et personnel important. La présence d’une telle règle dans le règlement peut constituer la raison même qui l’a conduit à acheter la part d’étage qu’il croyait préservée d’un certain usage.
Force est de constater que cette situation n’est pas satisfaisante et vide de sa substance l’effet renforcé et propter rem du règlement d’administration et d’utilisation (art. 649a al. 1 CC).
c. Le droit du voisinage comme lex specialis du droit communautaire
Un autre aspect sur lequel le raisonnement du Tribunal fédéral n’apparaît pas adéquat est de faire du droit du voisinage, et plus singulièrement de l’action en cessation du trouble de l’art. 679 en lien avec les art. 684 ss CC, une loi spéciale, en ce sens qu’elle exclut la possibilité d’attaquer la décision de la communauté des propriétaires d’étages.
Pourtant, il s’agit de deux actions aux buts bien différents (cessation d’une atteinte au droit de propriété / opposition à une décision de la communauté), de nature différente (l’action en cessation du trouble est condamnatoire alors que l’action en contestation d’une décision est formatrice), dont les éléments constitutifs divergent largement (notamment l’existence d’une atteinte excessive au lieu d’une violation de la loi ou du règlement, lequel peut être bien plus restrictif), dont les parties sont différentes (le propriétaire qui cause l’atteinte est défendeur dans l’action de l’art. 679 CC alors que la communauté des propriétaires d’étages est défenderesse dans l’action en contestation d’une décision) et par lesquelles le demandeur peut exiger des choses tout à fait différentes (les demandes qu’un propriétaire peut formuler pour faire cesser l’atteinte sont très diverses et il peut même s’en remettre au juge s’agissant des mesures à prendre, alors que le demandeur en matière de décision de PPE ne peut conclure qu’à l’annulation de la décision)15.
Ces différences, non exhaustives, nous semblent autant de raisons de ne pas exclure l’une des deux voies de droit au prétexte que l’autre pourrait être disponible ; d’ailleurs, dans le cas concret, le Tribunal fédéral se satisfait d’un renvoi abstrait et général, sans s’intéresser grandement à la pertinence de son affirmation pour la partie demanderesse.
En outre, il faut souligner que le règlement d’administration et d’utilisation peut avoir pour but d’élever le niveau de protection des voisins par rapport à celle dont ils bénéficient dans tous les cas en vertu de leur droit de propriété, respectivement du droit de voisinage. La situation est ainsi similaire à la protection supplémentaire accordée, de manière analogue, par le biais d’une servitude obligeant le propriétaire du fonds servant de revêtir son sol d’une moquette16. Il apparaît alors parfaitement cohérent, pour le propriétaire d’étages, de privilégier la voie sur laquelle se fonde sa protection accrue, plutôt que celle par laquelle il ne peut faire valoir que le régime général des art. 679 et 684 ss CC.
S’agissant de l’action en cessation du trouble à intenter, le Tribunal fédéral se borne à préciser que la disposition réglementaire doit être prise en compte dans la détermination du caractère excessif de l’atteinte17. Cette affirmation se fonde notamment sur le renvoi de l’art. 712a al. 1 aux art. 679 et 684 ss CC, concernant les excès de l’usage du droit exclusif du propriétaire d’étages18. Elle ne fonctionne cependant que dans la mesure où il existe bel et bien une immission, ce qu’il conviendra de prouver19. Dans l’arrêt auquel il renvoie, le Tribunal fédéral avait validé qu’une règle d’expérience permettait d’admettre « que la garde de plusieurs jeunes enfants dans un appartement est susceptible d’entraver la tranquillité du voisinage, que ce soit en termes de bruit ou de trépidations »20. Une telle règle d’expérience pourrait-elle s’appliquer en l’espèce ? Toute modification du revêtement du sol conduit-elle forcément à la reconnaissance d’une immission excessive, même sans prouver une augmentation du bruit ? Serait-ce le cas pour toute violation du règlement ?
Une telle généralisation nous semblerait constituer une construction douteuse et dangereuse, dès lors qu’elle pourrait sembler peu concluante selon les circonstances du cas d’espèce. Pour s’en convaincre, un autre arrêt du Tribunal fédéral est essentiel. L’affaire concernait des propriétaires d’étages qui utilisaient comme logement, une unité dont la destination était exclusivement commerciale en vertu du règlement, situation qui avait été portée directement devant le juge par un autre propriétaire d’étage21. Le Tribunal fédéral avait indiqué aux propriétaires d’étages qu’ils ne pouvaient pas, en cas de violation du règlement, se saisir directement du juge, mais qu’il leur incombait de soumettre la situation à l’assemblée des propriétaires pour décision et, le cas échéant, d’attaquer cette dernière22. Il n’était alors pas question de considérer que ce type de violation du règlement constituait forcément une atteinte excessive au sens de l’art. 684 CC ; la voie de l’opposition à la décision semblait la voie indiquée par le Tribunal fédéral pour toute violation du règlement23. Cela n’excluait certes pas la possibilité d’une action en cessation du trouble, mais l’on se trouvait précisément dans une situation dans laquelle l’existence d’une immission excessive n’avait pas été thématisée et aurait pu être incertaine : le simple fait de vivre dans une unité d’étage au lieu d’y installer des bureaux peut-il être considéré comme une immission excessive au sens de l’art. 684 CC ? Rien n’est moins sûr.
Ainsi, les propriétaires d’étages font désormais face à deux injonctions contraires :
1) régler les litiges de la PPE par les voies internes à celle-ci et n’en appeler au juge qu’en cas de décision contraire, par l’assemblée des propriétaires d’étages, au droit, y compris communautaire (TF 5A_640/2012) ;
2) ne pas utiliser cette voie en cas d’immissions excessives, même en cas de violation claire du règlement, et actionner le propriétaire d’étages fautif directement, par le biais du droit du voisinage et ce, même en cas de décision « illicite » prise par l’assemblée des propriétaires d’étages (TF 5A_17/2024).
Compte tenu de ce qui précède, il conviendrait bien plutôt de laisser à la disposition du propriétaire d’étages toutes les options procédurales que la loi lui confère, en particulier lorsqu’elles sont aussi différentes que l’action en cessation du trouble et l’action en contestation des décisions de l’assemblée des copropriétaires.
2. Les conséquences pratiques de l’arrêt
Il résulte de l’arrêt commenté une complexification importante des voies de droit pour les propriétaires d’étages et leurs représentants.
Alors qu’il était déjà admis que le tribunal n’a pas à vérifier la proportionnalité et l’opportunité d’une décision de la communauté24, le Tribunal fédéral entérine le fait que le juge ne va sanctionner une décision même clairement contraire au règlement que si le propriétaire d’étages ne disposait pas de l’action en cessation du trouble et/ou si des « intérêts communs » à tous propriétaires d’étages sont concernés : « Dass keine gemeinschaftlichen Interessen betroffen sind, ist ein sachlicher Grund für den Beschluss der Stockwerkeigentümergemeinschaft, auf die beantragten Vorkehren zu verzichten. Unter diesen Umständen verletzt der Verzicht auf die zur Durchsetzung der fraglichen Reglementsbestimmung beantragten Vorkehren weder das Gesetz noch die Gemeinschaftsordnung »25.
Cette décision ouvre ainsi une brèche importante dans la sécurité du droit, puisqu’elle pose plusieurs questions essentielles : les deux conditions posées par le Tribunal fédéral (existence d’intérêts communs et absence d’action en cessation du trouble à disposition) sont-elles cumulatives ou alternatives ? Que faut-il exactement comprendre par « intérêts communs » ? Qu’en est-il si plusieurs propriétaires d’étages sont touchés mais pas tous les propriétaires d’étages ?
Déterminer si des « intérêts communs » sont touchés par une décision nous semble constituer une question d’interprétation délicate qui ne manquera pas d’engendrer une insécurité juridique importante.
D’un point de vue procédural, le propriétaire d’étages devra désormais prendre des précautions extrêmes, lesquelles apparaissent hors de portée d’un propriétaire d’étages laïc et non représenté. En effet, lorsqu’il existera le moindre doute sur l’existence d’immissions excessives, le propriétaire d’étages touché par une décision de la communauté qu’il juge contraire au règlement devrait à notre sens agir par les deux voies de droit en parallèle, pour des raisons de prudence :
- S’il ne s’oppose pas à la décision de la communauté dans le mois (art. 75 CC), il prend en effet le risque qu’un juge considère que les conditions d’une action au sens de l’art. 679 CC ne sont pas réunies et qu’il perde ainsi toute possibilité de s’opposer judiciairement à une situation qu’il juge contraire au règlement d’administration et d’utilisation.
- Inversement, s’il ne dépose pas d’action au sens de l’art. 679 CC, il prend le risque de vivre une situation potentiellement pénible, qu’il juge illicite, pendant toute la durée de la procédure en contestation de la décision de PPE, c’est-à-dire pendant des années26, pour finalement déboucher sur un rejet, s’il est admis, comme en l’espèce, que des « intérêts communs » n’étaient pas concernés. Dans ce cas de figure, bien que l’action en cessation de l’atteinte soit imprescriptible27, le propriétaire d’étages prend néanmoins le risque de perdre ses droits à d’éventuels dommages et intérêts28.
En conclusion, nous retenons que l’arrêt commenté ajoute une strate de complexification et d’insécurité juridique inutile pour les propriétaires d’étages et leurs représentants, lesquels évoluent déjà dans un cadre complexe, notamment en raison de la répartition des qualités pour agir et pour défendre entre la communauté et les propriétaires. Comment ne pas regretter une telle conséquence, lorsqu’on défend un système judiciaire dont la première préoccupation devrait résider dans la mise en œuvre des règles et des normes acceptées par les parties au procès.
Notes
- TF 5A_17/2024, consid. 2.3.5. ↩
- Wermelinger Amédéo, art. 712g CC, N 101 et 103, in : La propriété par étages, Commentaire des articles 712a à 712t du Code civil suisse, 4e éd., Rothenburg 2021. ↩
- Steinauer Paul-Henri, Les droits réels, Tome 1, 6e éd., Berne 2019, N 1796. ↩
- Wermelinger, art. 712s CC, N 52. ↩
- Cf. en détails : Wermelinger, art. 712s CC, N 59. ↩
- Meier-Hayoz Arthur/Rey Heinz, art. 712s CC, N 71, in : Berner Kommentar, Band IV : Sachenrecht, 1. Abteilung : Das Eigentum, 5. Teilband : Grundeigentum IV, Das Stockwerkeigentum Art. 712a-712t, Berne 1988. ↩
- TF 5A_17/2024, consid. 2.3.5. ↩
- TF 5A_17/2024, consid. 2.3.5. ↩
- Pour tous les autres : Amoos Piguet Mihaela, Art. 712m CC, N 15, in : Commentaire romand, Code civil II, Art. 457-977 CC, Art. 1-61 Tit. fin. CC, Bâle 2016. ↩
- CR CC II-Amoos Piguet, art. 712m CC, N 15. ↩
- Il convient de préciser que pour certaines modifications réglementaires, l’unanimité et non pas la majorité qualifiée de l’art. 712g al. 3 CC peut être exigée. C’est notamment le cas, si la nouvelle règle à établir déroge au droit dispositif (art. 712g al. 2 CC). Dans une telle situation, à défaut de décision unanime, cette option n’est pas ouverte à la communauté des propriétaires d’étages. ↩
- Wermelinger, art. 712m CC, N 203. ↩
- ATF 127/2001 III 506 = JdT 2002 I 306, consid. 3. ↩
- Il est controversé de savoir si l’autorisation de l’assemblée des propriétaires d’étages nécessaire pour initier une procédure judiciaire en son nom nécessite une majorité simple ou qualifiée, cf. notamment TF 5A_357/2022, consid. 4.4.4 ; 5A_198/2014, consid. 6.1.2 et la présentation du débat doctrinal à cet égard. Quoiqu’il en soit, il en résulte à l’inverse qu’une majorité simple suffit au refus d’une telle procédure. ↩
- Pour comparer les deux actions sur l’ensemble de ces points : Bohnet François, § 46 [action en raison du trouble] et § 49 [contestation d’une décision de l’assemblée (PPE)], in : Actions civiles, vol. 1 : CC, LPD, LP, 3e éd., Bâle 2025. ↩
- ATF 106 II 315, consid. 2e. ↩
- TF 5A_17/2024, consid. 2.4 en référence à l’arrêt TF 5A_127/2020, consid. 4.1.2. ↩
- TF 5A_127/2020, consid. 4.1.3. ↩
- AC-Bohnet, § 46, N 41. ↩
- TF 5A_127/2020, consid. 4.2.2. ↩
- TF 5A_640/2012, partie en fait A. et B. ↩
- TF 5A_640/2012, consid. 4. ↩
- TF 5A_640/2012, consid. 4.5 : « Eine Klage auf Einhaltung des Reglementes, ohne dass gleichzeitig andere Rechte aus Eigentum, Besitz o.Ä., namentlich wegen übermässigen Immissionen, als verletzt geltend gemacht werden, ist zwischen Stockwerkeigentümern nicht vorgesehen. Für die Einhaltung des Reglementes hat vielmehr die Versammlung der Stockwerkeigentümer als oberstes Organ der Stockwerkeigentümergemeinschaft zu sorgen, deren Beschluss unter den allgemeinen Voraussetzungen gerichtlich angefochten werden kann ». ↩
- CR CC II-Amoos Piguet, art. 712m CC, N 15. ↩
- TF 5A_17/2024, consid. 2.4. ↩
- Dans le cadre de l’arrêt commenté, daté du 3 février 2025, la décision contestée a été prise lors d’une assemblée des propriétaires d’étages du 14 septembre 2021 (TF 5A_17/2024, point. A en faits), soit une durée de trois ans et cinq mois, ce qui apparaît comme un exemple de procédure assez rapide selon notre expérience. ↩
- AC-Bohnet, § 46, N 50. ↩
- Cf. sur ce délai : AC-Bohnet, § 46, N 53. ↩