TF 5A_323/2022 du 27 octobre 2022
Hypothèque légale des artisans et entrepreneurs; sûretés suffisantes; art. 839 al. 3 CC
Sûretés suffisantes (art. 839 al. 3 CC) – Le propriétaire foncier peut empêcher l’inscription provisoire ou définitive d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs s’il fournit des sûretés suffisantes au sens de l’art. 839 al. 3 CC. Ces sûretés peuvent être personnelles (garantie bancaire, cautionnement, autre garantie fondée sur le droit des obligations) ou réelles (consignation d’un montant ou nantissement d’autres valeurs). Pour être « suffisantes », les sûretés qui tiennent lieu d’inscription d’une hypothèque légale doivent garantir pleinement la créance : elles doivent ainsi offrir qualitativement et quantitativement la même couverture que l’hypothèque des artisans ou entrepreneurs. Du point de vue quantitatif, l’hypothèque légale des artisans ou entrepreneurs offre au créancier une sécurité pour le capital et les intérêts moratoires et, le cas échéant, pour les intérêts contractuels. En tant que les intérêts moratoires ne sont pas limités dans le temps, la jurisprudence retient que les sûretés tenant lieu d’inscription d’une hypothèque doivent également offrir une sécurité illimitée pour les intérêts moratoires (cf. ATF 142 III 738) (consid. 3.3 – 3.3.2).
Critiquée en doctrine, cette jurisprudence a donné lieu à une procédure de révision législative, laquelle limite à dix ans les intérêts moratoires compris dans les sûretés prévues à l’art. 839 al. 3 CC (consid. 3.3.2.2). La jurisprudence admet que, dans certains cas, une révision législative en cours peut être prise en compte lors de l’interprétation d’une norme (consid. 3.3.3).
Dans le cas d’espèce, le montant des sûretés consignées par les propriétaires comprend les intérêts moratoires sur une durée de dix ans. Le comportement de l’entrepreneur qui se fonde sur la jurisprudence publiée précitée pour invoquer l’insuffisance des sûretés versées et solliciter ainsi le maintien de l’inscription provisoire de l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs ne peut pas être constitutif d’abus de droit. Toutefois, la cour cantonale pouvait se référer au projet législatif en cours pour s’écarter de la jurisprudence fédérale et considérer, sans arbitraire, que les sûretés garantissant ici la créance de l’entrepreneur ainsi que les intérêts moratoires sur dix ans étaient suffisantes (consid. 3.4).